Victoire du plaidoyer – congés de maladie payés, soutien de la population et changement durable
Ce récit rédigé dans le cadre du projet « L’équité en action » est tiré d’un entretien tenu avec Carolina Jimenez (inf. aut., MPH, ancienne coordinatrice dans l’équipe du Decent Work and Health Network) en septembre 2021 et d’une présentation donnée par l’infirmière pour le compte du Health Equity Collaborative Network au début de 2022. Il importe de le situer dans son contexte d’alors.
Vous vous dites peut-être – n’avons-nous pas déjà droit aux congés de maladie payés? Et la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique? Dans les faits, cette aide financière n’a rien à voir avec un congé de maladie payé. Il s’agit plutôt d’un programme de prestation de soutien du revenu destiné aux personnes incapables de travailler à cause de la COVID-19. Le congé de maladie payé est un problème structurel courant dans toutes les provinces et tous les territoires. La prestation est une solution de fortune qui ne tient pas compte du problème à la racine, c’est-à-dire la faiblesse des normes d’emploi. Or, nous devons reconnaître qu’il s’agit d’un programme temporaire et que nous reviendrons à la case départ après son abolition. Un problème structurel mérite une solution structurelle axée sur l’équité. |
Les normes du travail comptent
Le Decent Work and Health Network a vu le jour en 2014. Nous sommes un groupe de prestataires de services de santé décidés à puiser dans notre capital sociétal et à parler franchement des enjeux dans les domaines de la santé et du travail. Nous travaillons étroitement avec des groupes connexes, principalement le Workers’ Action Centre et le Fight for $15 and Fairness en Ontario. Nos revendications reflètent donc parfaitement celles des travailleurs. Nous n’agissons pas pour les travailleurs, mais bien avec eux. En réalité, nous plaidons pour des changements aux normes d’emploi afin d’améliorer la santé des individus et des populations. Nous cherchons à changer la norme de base minimale pour tout le monde, parce que c’est la seule façon de parvenir à protéger tout le monde et de créer des politiques équitables.
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, le lien de causalité entre le travail et la santé est on ne peut plus clair. Nous constatons qu’il y a un lien entre l’emploi précaire, par exemple les postes n’offrant pas souvent une sécurité d’emploi, un salaire décent ou des congés de maladie payés, et l’état de santé. Nous prenons conscience que si les normes du travail sont inadéquates, elles deviennent un risque pour la santé.
Durant la pandémie, la santé publique a répété un message très important pour protéger la santé de la population : restez à la maison si vous êtes malade. Beaucoup de travailleurs n’avaient pas les moyens de suivre la consigne. Tout le monde sait que ce n’est pas de leur faute. Pour un travailleur à faible revenu, ne pas pouvoir toucher son salaire d’une journée peut peser sur sa capacité de payer son loyer mensuel ou non. Nous savons que c’est nocif pour la santé de la personne, mais aussi de la population en général.
Combler l’écart en matière de congés de maladie payés
Chaque province et territoire du Canada dispose de normes d’emploi à l’intention des travailleurs. S’il n’en revenait qu’aux employeurs et aux gouvernements, à moins d’un revirement de politique, les normes d’emploi resteraient les mêmes. Il faut donc de vigoureux plaidoyers pour pousser les élus à y apporter des changements.
En Ontario, par exemple, le plaidoyer entourant la précarité d’emploi a incité le gouvernement libéral au pouvoir à revoir le dossier en profondeur sur une période allant de 2015 à 2017. L’Examen portant sur l’évolution des milieux de travail a suscité quelques améliorations aux normes d’emploi. En présentant des récits de travailleurs et d’autres documents de fond, notre réseau a pu mettre en évidence les répercussions du travail précaire sur le personnel de santé. Force est ainsi de constater que les prestataires de services de santé peuvent contribuer positivement aux plaidoyers politiques en faveur de changements tangibles dans les politiques.
L’obtention de deux congés de maladie payés est l’une de nos petites victoires. Le gouvernement libéral avait mis en vigueur la nouvelle disposition en 2017, et le gouvernement conservateur l’a supprimée après son entrée au pouvoir en 2018. Après avoir gagné puis perdu le droit à ces deux congés de maladie payés, nous avons retroussé nos manches. Notre démarche pour tenir le gouvernement responsable des décisions stratégiques imprudentes a jeté les fondements de ce que nous avons pu accomplir durant la pandémie de COVID-19 et de notre rapport publié en anglais en 2020 et intitulé Before it’s too late: How to close the paid sick days gap during COVID-19 and beyond.
Nous avons utilisé un amalgame de méthodes de recherche et produit le rapport afin de combler le manque de données probantes et de connaissances sur la question des congés de maladie payés, sur la scène provinciale ontarienne comme sur la scène nationale. Nous nous sommes entretenus avec des gens occupant un emploi précaire dans la province. Nous avons interrogé des urgentologues. Nous avons analysé les dispositions des politiques de congé de maladie payé en place dans les provinces et territoires. Nous avons formulé une série de recommandations sur les moyens à prendre pour combler le vide en matière de congés de maladie payés. Grâce à notre relation avec l’équipe du Workers Action Centre, nous avons pu suivre son exemple, en lui demandant son avis sur les changements d’importance à apporter dans les textes de loi. Nous avons ensuite mobilisé les données probantes nécessaires pour soutenir les priorités.
Du savoir à l’action
Nous avons découvert que, dans l’ensemble, 58 % des travailleurs canadiens n’ont pas droit à un congé de maladie payé, ce qui est gênant. En plus, moins vous gagnez, plus votre probabilité de ne pas avoir droit à un congé de maladie payé augmente. Chez les personnes touchant moins de 25 000 $ par année, le pourcentage grimpe d’ailleurs à plus de 70 %. Si on analyse la question du point de vue de l’équité, on peut en déduire que les personnes à qui on refuse des congés de maladie payés en ce moment sont celles qui en auraient le plus besoin. Un nombre disproportionnellement élevé de femmes, de migrants, de personnes racisées et de personnes handicapées occupent un emploi peu rémunéré et précaire qui ne leur permet pas de travailler de la maison et qui les expose à la COVID-19 sur leur lieu de travail.
L’importance du plaidoyer et des travaux de recherche et de la conjugaison des deux s’est confirmée lors de notre collaboration avec certains des partis d’opposition afin de tenter d’intégrer les conclusions de recherche dont il est question dans le présent document dans un projet de loi émanant des députés. Le premier a été rejeté, mais un autre (projet de loi 7, Loi de 2021 visant à accorder 10 jours de congé de maladie payé aux travailleurs de l’Ontario) a été adopté en première lecture plus tard, en 2021. Le gouvernement conservateur a instauré un programme. Les trois journées de congé de maladie payé maintenant offertes en Ontario par l’entremise de la Prestation pour la protection du revenu des travailleurs sont mieux que rien. C’est loin de correspondre aux besoins et aux intérêts des travailleurs, mais voilà un résultat directement lié à notre démarche.
Le gouvernement a prolongé le programme temporaire jusqu’en 2022. Il nous reste à nous assurer que les changements deviennent permanents et universels pour garantir à tous les travailleurs l’accès à des avantages sociaux comme celui-ci sans égard à leur situation d’emploi. Espérons que, si le gouvernement choisissait de ne rien faire malgré notre réussite à pousser le dossier aussi loin, cela irait à l’encontre de la volonté de la majorité, qui a selon moi une très grande force de frappe.
L’iceberg du travail décent
J’aime bien faire un rapprochement entre les congés de maladie payés et la pointe de l’iceberg. En effet, la véritable question n’a rien à voir avec le manque de congés de maladie payés, mais plutôt avec l’ampleur de la précarité d’emploi. Bien que les congés de maladie payés touchent somme toute les travailleurs à faible revenu, migrants ou au service d’une agence de placement – c’est la précarité d’emploi, en tant que déterminant social de la santé, qui se révèle la véritable coupable.
Des points comme les mesures de protection des travailleurs temporaires et des travailleurs à la demande, un statut pour les travailleurs migratoires et un salaire équitable forment l’iceberg du travail décent. Le congé de maladie payé n’est que la partie exposée du bloc de glace, c’est-à-dire la portion tangible sur laquelle peuvent s’accrocher les prestataires de services de santé et le personnel du système de santé. Ainsi, le fait de pouvoir compter sur des gens solidaires de la question nous permet de garder la porte ouverte et de continuer à plaider en faveur des mesures de protection essentielles à la sécurité des travailleurs.
Dès l’instant où la précarité d’emploi appartient aux déterminants de la santé, les gens doivent défendre la place du travail décent comme enjeu de santé publique. La santé publique peut parfois sembler être une grosse machine pas toujours capable de bouger rapidement. Le revenu et le travail décent ne font pas nécessairement partie des priorités de travail dans ce domaine. Le sachant, un médecin-hygiéniste et moi-même avons planché sur l’élaboration d’un plan de mobilisation de la santé publique autour de la question des congés de maladie payés.
D’aucuns savent que la région de Peel (Ontario) a longtemps enregistré une forte proportion des cas positifs de COVID-19 en milieu de travail. Nous avons donc mis en place une stratégie afin d’obtenir l’appui du bureau de santé publique de la région par rapport aux congés de maladie payés et créé une trousse d’information tirée de notre rapport Before it’s too late, comportant des instructions et une lettre à signer. La démarche a mené à un dialogue avec le personnel de la santé publique au sujet de la précarité d’emploi dans Peel. Cela a mené à son tour à établir des liens avec l’Association of Local Public Health Agencies (association des réseaux locaux d’intégration des services de santé), qui représente 34 bureaux de santé publique en Ontario. Ceux-ci ont signé une lettre d’appui commune relativement aux congés de maladie payés, puis l’ont transmise au gouvernement provincial. Le fait de pouvoir exercer ce genre de pression est extraordinaire.
Continuer sur la lancée
D’autres moyens d’action s’offrent à la santé publique dans ce dossier. Sur le plan régional, nous avons constaté que bien des gens collaborent avec des conseillers pour encourager l’adoption de motions en faveur des congés de maladie payés. Sur le plan organisationnel, les professionnels de la santé publique peuvent s’assurer de toujours se montrer sensibles au travail décent, aux congés de maladie payés et aux normes d’emploi. Ils peuvent aussi réfléchir à ce qui relie ces questions aux autres déterminants de la santé dans leur contexte de travail. Des lettres de la part de votre organisme aux députés et au premier ministre de votre province ou de votre territoire s’avèrent de bons outils, non seulement parce qu’elles leur rappelleront qu’ils ont des comptes à rendre, mais aussi parce qu’elles attireront l’attention des médias. Les médias sont à l’affût de ce genre d’information, et ils jouent un rôle prépondérant dans l’évolution du discours social sur la question. Je sais que le plaidoyer peut se révéler difficile au travail. Il faut dire qu’agir soi-même de manière indépendante n’a pas son pareil.
Je le répète encore une fois : à titre de prestataires de services de santé et de professionnels de la santé publique, nous formons un capital sociétal suffisamment important pour bien faire entendre les demandes du peuple.
En termes d’enseignements, je me rends compte aujourd’hui qu’il n’est pas toujours possible de savoir ce qui constituerait une victoire avant de commencer. Par exemple, au début, je pensais qu’il fallait une victoire législative. Aujourd’hui, a posteriori, j’ai changé d’opinion. J’estime que la victoire réside dans le fait que nous avons réussi à changer le discours public. Nous avons fait évoluer l’opinion publique au-delà du mythe gouvernemental qu’il y aurait de l’abus avec les congés de maladie payés. Nous avons réussi à élever les attentes et à mieux faire valoir que les travailleurs méritent ce droit, que nous n’en demandons pas trop en affirmant que, si nous sommes malades, nous méritons le droit de rester à la maison sans avoir à en souffrir financièrement.
Par le passé, nous plaidions pour deux congés de maladie payés. Le parti libéral et le nouveau parti démocratique ont récemment fait campagne en faveur de dix (10) jours de congé de maladie payé. Voyez tout le chemin parcouru en si peu de temps. Si nous avons réalisé un gain législatif avec les deux congés de maladie payés, nous l’avons perdu tout aussi rapidement en raison de l’absence d’un discours public. Ils avaient la voie libre en sachant que la manœuvre ne choquerait à peu près personne. C’est une leçon très importante à retenir : nous devons agir avec les gens à nos côtés, non pas pour, mais avec eux, et c’est de cette manière que nous créerons un changement durable.
Leçons retenues :
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Le plaidoyer peut entraîner des gains législatifs sur le plan des normes d’emploi minimum et, mieux encore, l’évolution de l’opinion publique et du discours public, ce qui mènera à des changements de politique équitables et durables dans le dossier du travail décent. |
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Contexte :
Fondé par le Workers’ Action Centre et Health Providers Against Poverty en 2014, le Decent Work and Health Network est formé d’un groupe de travailleurs et de stagiaires du milieu de la santé qui plaident en faveur d’une amélioration de la santé en s’attaquant aux conditions de travail et d’emploi en Ontario.
Le Workers’ Action Centre est une organisation de travailleurs ayant à cœur d’améliorer la vie et les conditions de travail des gens à faible salaire et aux horaires atypiques.
Depuis 2015, le mouvement Fight for $15 and Fairness avait pour objectif de faire apporter des améliorations en matière d’emploi précaire et à faible salaire. En mai 2021, le mouvement a cédé la place au Justice for Workers: Decent Work for All, marquant une nouvelle phase de la campagne pour le travail décent en Ontario.
Le personnel du bureau de santé publique de Peel se compose de spécialistes, de professionnels, de chercheurs, de moteurs du changement qui travaillent étroitement avec les acteurs du système de santé (qui traitent les gens déjà malades) du Canada afin de prévenir la maladie, c’est-à-dire éviter avant tout que les gens deviennent malades.
L’Association of Local Public Health Agencies est un organisme à but non lucratif qui indique la ligne de conduite à suivre par les conseils de santé et les bureaux de santé publique de l’Ontario.
Ressources:
Before it’s too late: How to close the paid sick days gap during COVID-19 and beyond (rapport en anglais)
The myths & truths about paid sick days (feuillet d’information en anglais)
Pour en savoir plus au sujet de la démarche décrite dans le présent récit, adressez-vous au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, au [email protected].
Avez-vous une idée de récit pour l’initiative L’équité en action? Avez-vous entendu parler d’autres initiatives visant à promouvoir l’équité en santé dans le cadre de la lutte pour mettre fin à la pandémie de COVID-19 au Canada? Devrions-nous en parler? Portez-les à notre attention!
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