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L’Assisted Self-Isolation Site de Calgary harmonise les services sociaux et de santé pour les personnes en situation d’itinérance

L’Assisted Self-Isolation Site de Calgary harmonise les services sociaux et de santé pour les personnes en situation d’itinérance

12 décembre 2022

Ce récit rédigé dans le cadre du projet « L’équité en action » est tiré d’un entretien tenu avec Sam Hung, gestionnaire de programme, Assisted Self-Isolation Site (ASIS). La rencontre ayant eu lieu en avril 2021, il importe de la situer dans son contexte d’alors. 


Réflexion faite, c’est une question de logement. Avoir un toit est un droit fondamental. Je dirais au gouvernement qu’il devrait injecter davantage d’argent dans le logement. Si vous investissez dans le logement abordable, dans une certaine forme de revenu garanti, dans quelque chose pour agir sur ce très important déterminant social de la santé afin que les gens puissent disposer de leur propre domicile – vous n’auriez pas à consacrer autant de ressources financières à des projets comme l’Assisted Self-Isolation Site à l’avenir.

 

L’Assisted Self-Isolation Site (ASIS), un site d’hébergement d’urgence, a ouvert ses portes à Calgary en avril 2020 aux personnes en situation d’itinérance afin de leur permettre de s’auto-isoler durant la pandémie. La gestion de notre programme s’effectue par l’entremise de l’organisme de services sociaux et de santé à but non lucratif The Alex qui possède les compétences voulues pour fournir des services de santé, des programmes d’hébergement et de l’aide sociale. Le site d’hébergement d’urgence donne en outre accès à des services médicaux supplémentaires afin de veiller à ce que les individus ayant testé positif à la COVID-19 ou été en contact avec une personne atteinte puissent s’isoler sans que leur état de santé s’aggrave en raison de la maladie.

 

Se concentrer sur l’aide globale en amont plutôt que sur l’aspect médical en aval

Au départ, la proportion du personnel médical dépassait largement celle du reste du personnel. Le personnel infirmier et le personnel de soutien médical prenaient beaucoup de place, alors que le groupe du soutien social se résumait à quatre gestionnaires de cas seulement. Nous avons vite compris qu’il fallait grossir le service de soutien communautaire qui devenait ni plus ni moins l’épine dorsale de notre travail. L’équipe s’occupait en effet de l’inscription, de la livraison de repas et de produits de base, des longs appels téléphoniques à faire aux personnes vivant de la solitude et d’être là pour aider à désamorcer certaines situations.

Le site d’hébergement d’urgence se trouve dans un hôtel pouvant accueillir au plus 93 personnes. Jusqu’à maintenant, notre maximum s’est élevé à 90 individus accueillis et notre minimum, à huit (8) l’été dernier. Nous adaptons nos services de manière à répondre aux besoins du milieu. Lorsque les personnes en isolement à l’hôtel sont en petit nombre, nous consacrons nos ressources à d’autres fins que l’isolement. Voilà le bon côté de notre site. Notre priorité va aux personnes ayant été en contact avec des personnes atteintes et à celles ayant testé positives à la COVID-19. Cependant, nous accueillons aussi des personnes présentant de simples symptômes lorsque nous disposons de suffisamment de chambres et n’avons pas à gérer des éclosions. Nous nous posons alors la question : bon, que pourrions-nous faire de plus pendant que ces gens sont sur place?

Nous avons lancé ce que nous appelons à l’interne le niveau 3. Les niveaux 1 et 2 ont à voir avec la priorité que sont les cas de COVID-19. Le niveau 3 vise les personnes dont la médication est à stabiliser dans un endroit où la possibilité d’obtenir des services médicaux est plus grande que dans un refuge, sans être un hôpital, par exemple pour terminer la prise d’antibiotiques ou se faire soigner après une blessure. La durée du séjour est la même que pour les personnes ayant été en contact, soit 14 jours maximum. Nous allégeons la pression exercée sur les milieux des refuges et prévenons les hospitalisations en traitant, par exemple, les infections à un endroit où les gens peuvent aussi avoir accès à des services sociaux adéquats et appropriés.

Le niveau 3 est un projet pilote plus modeste mené à l’intérieur d’un projet d’envergure. C’est notre façon de démontrer la valeur de l’aide globale. Nous constations que nous en donnions davantage à notre clientèle que de simplement fournir un toit. Dans certains cas, l’isolement en cas de COVID-19 se révélait pratiquement une occasion pour certaines personnes de se concentrer sur leur maladie chronique, d’avoir accès à un logement ou de stabiliser la médication liée au traitement par agonistes opioïdes. Si un individu doit se trouver un endroit où stabiliser son régime médicamenteux avant d’avoir accès à une maison de transition ou à un programme de logement permanent ou même au traitement comme tel, dans un laps de temps de deux semaines, nous l’acceptons aussi.

Nous essayons d’utiliser les ressources et l’équipe créées pour servir à d’autres fins que l’isolement afin de montrer la valeur incontestable d’une équipe médico-sociale très bien intégrée. L’équipe fonctionne en harmonie. Je n’ai jamais vu un si bel équilibre dans l’aide fournie par un service. Ce degré de collaboration remarquablement intégrée entre les ressources des services sociaux et celles des services médicaux nous a permis de réussir, non seulement auprès du personnel, mais aussi de nos bailleurs de fonds. Je n’ai pas connaissance d’un temps où Santé Alberta, les Services de santé Alberta, le ministère des Services sociaux et communautaires et la Calgary Homeless Foundation aient uni leurs efforts en continu comme maintenant. Nous collaborons pourtant depuis un an déjà, et nous avons trouvé un terrain d’entente en termes d’objectifs. S’il était possible de multiplier les sources de financement qui permettent un tel regroupement des fonds pour réaliser des mandats qui se rejoignent, je pense que le modèle prouve que cela porte des fruits. La route pour créer une équipe parfaitement intégrée – non pas une équipe de santé et une équipe sociale – peut certainement être semée d’embûches. Toutefois, lorsque ça marche, c’est beau à voir et le résultat est palpable chez notre clientèle.

Pour nous, la réussite n’a pas uniquement à voir avec le nombre de personnes parvenues à s’isoler le temps requis. Si un individu ne se sent pas bien – en raison par exemple d’un sevrage difficile, d’une absence de soutien social, de la solitude ou de pensées suicidaires –, nous ne pouvons pas vraiment crier victoire. La réussite vient de toute évidence du fait d’avoir évité que d’autres personnes attrapent la COVID-19. Cela dit, vivre en solitaire dans une chambre d’hôtel pendant deux semaines peut finir par être un puissant déclencheur. Pour moi, le triomphe réside dans la capacité de répondre aux besoins des gens alors qu’ils sont sur place pour qu’ils puissent s’isoler dans la dignité, la sécurité et le confort d’une façon correspondant à leurs propres objectifs. Nous pouvons les aider s’ils veulent se désintoxiquer. Sinon, nous pouvons aider à les garder en sécurité. Nous sommes en mesure de fournir du soutien social ou de trouver une façon pour eux de rester en contact social. Nous pouvons leur offrir un répit de la rue dans un endroit où ils auront trois repas par jour et la dignité de disposer de leur propre salle de bains et le choix de passer tout le temps voulu dans leur baignoire. Lors des flambées de COVID-19, des périodes de grand achalandage où 90 personnes résident à l’hôtel et où nous sommes incapables de faire plus que la base, nous savons que notre mandat en est un de santé publique d’abord et avant tout. Quand nous avons la possibilité de nous occuper de tous ces autres aspects, cela nous fait réellement vibrer.

Prioriser l’approche de réduction des méfaits et de logement d’abord pour assurer la sécurité des gens

Notre démarche a porté des fruits grâce aux membres de notre équipe et à nos valeurs fondamentales. Nous n’avons pas dévié des principes de réduction des méfaits et de logement d’abord. Ces deux approches donnent d’excellents résultats. Pour nous, la réussite va au-delà de la définition qui en est donnée pour les programmes traditionnels. Nous savons que la réduction des méfaits ne consiste pas seulement à fournir des produits sûrs. Elle concerne la gestion du risque et la façon de trouver des solutions avec l’individu. La stratégie de lutte contre la pandémie qu’est le site d’hébergement d’urgence se veut une stratégie de navigation de la réduction des méfaits. En effet, lorsqu’une personne veut quitter les lieux, nous devons en l’occurrence nous occuper des méfaits subis par la collectivité aussi bien que de ceux subis par l’individu. L’adhésion aux principes de réduction des méfaits et de l’approche axée sur l’ensemble de la collectivité permet aux responsables du site de s’occuper de situations complexes.

Principalement dans les premiers jours, nous ne savions pas jusqu’où nous pouvions forcer la note avec les plans créatifs pour garder les gens dans l’hôtel. Dès que nous avons vu une personne quitter l’hôtel malgré un avis médical contraire, alors qu’elle était positive à la COVID-19 et parce qu’elle n’avait aucun accès à de l’alcool, nous nous sommes dit qu’il fallait changer notre méthode de travail. Nous ne pouvions laisser des gens partir parce qu’ils n’avaient pas accès à quelque chose de légal que d’autres personnes en auto-isolement pouvaient acheter et consommer dans leur propre maison. Il ne faudrait pas refuser ce genre de privilège à notre clientèle sous prétexte qu’elle est sans domicile fixe.

Le séjour au site d’hébergement d’urgence constitue pour bien des gens une barrière au revenu parce qu’ils n’ont pas accès à leur gagne-pain habituel, par exemple mendier, collecter des bouteilles ou s’adonner au travail du sexe ou au trafic de stupéfiants. En plus, la clientèle de l’hôtel n’a pas les moyens de s’offrir des cigarettes. Nous devenons ainsi un obstacle. Nous bousculons le quotidien et la façon de fonctionner des individus. Comment les rencontrer à mi-chemin? Nous avons commencé à fournir des cigarettes gratuitement tout simplement pour garder les gens dans leur chambre plus facilement. Il n’y a aucune place dans le budget pour le tabac. The Alex paye la facture grâce aux dons reçus.

Bien que notre programme ne soit pas un programme de logement comme tel, nous appliquons les principes de l’approche logement d’abord. À notre avis, les barrières au logement ne devraient pas exister ou à peu près pas, alors nous ne devrions pas créer des barrières à l’auto-isolement. La seule situation où nous refusons une chambre à quelqu’un est si le cas est trop lourd à gérer du point de vue médical et nécessite l’hospitalisation, nonobstant les traumatismes, les déclencheurs, les triples morbidités de la clientèle. Quel que soit le vécu de l’individu à son arrivée, nous essayons de travailler avec lui jusqu’à ce que ce soit clair que nous ne pouvons pas y arriver. Nous tentons ensuite de trouver un endroit plus sûr pour lui.

Le site d’hébergement d’urgence nous a fait beaucoup cheminer. Il a fait ressortir les lacunes du système en général en termes d’accès équitable; de stigmatisation et de pouvoir que des gens – provenant par exemple d’organismes et de bailleurs de fonds – pensent avoir le droit d’exercer sur les individus en situation d’itinérance et de nos attentes envers les personnes ayant un domicile et de celles sans domicile fixe. Du genre : Pourquoi ne peuvent-ils pas boire et consommer dans leur propre chambre si nous leur donnons un toit pour s’isoler? Si, pendant son séjour ici, un individu est déclaré à risque élevé de transmettre la COVID-19 à son entourage ou au refuge, nous remplissons un formulaire1 afin de l’envoyer à l’hôpital. Personne ne se fait traiter de la sorte dans sa propre maison. Certains individus ayant testé positifs à la COVID-19 sortent dans les bars et les restaurants et font la fête. Remplissons-nous un formulaire pour eux? Non, parce qu’il s’agit d’un droit et qu’on ne peut brimer un individu dans son droit. La seule différence a trait au domicile. J’espère que nous en tirerons une leçon et que nous amorcerons une réflexion éthique sur notre façon de traiter les personnes en situation d’itinérance.

 

Leçons retenues :

La collaboration intersectorielle afin d’intégrer tous les aspects du soutien social et médical, des bailleurs de fonds jusqu’au personnel de première ligne, facilite la mise en œuvre d’un modèle de soins global permettant de s’occuper des problèmes complexes vécus par les gens en situation d’itinérance. Les stratégies pour agir sur les déterminants structurels et sociaux de la santé et les problèmes à la source donnent de meilleurs résultats chez les individus et pour la collectivité et le système en général, car ils allègent par exemple la pression sur les services de santé, y compris les établissements hospitaliers, et font une meilleure utilisation des ressources.

En appliquant l’approche de réduction des méfaits et les principes de logement d’abord, les organismes sont mieux capables d’affronter les situations délicates et de choisir les options les plus respectueuses pour les personnes en situation d’itinérance, comme les interventions adaptées aux besoins et aux objectifs des personnes.

Il faut s’arrêter aux valeurs personnelles et organisationnelles et aux principes éthiques pour constater le déséquilibre du pouvoir entre les prestataires de services et les individus en situation d’itinérance et le manque de respect des droits de ces mêmes individus comparativement aux autres.

1Remarque : Le mot « formule » réfère au formulaire à remplir en vertu de la Loi sur la santé mentale pour garder une personne en isolement involontaire en milieu hospitalier. Il est possible de remplir un tel formulaire si un individu ayant la COVID-19 refuse ou est incapable de s’isoler et s’il expose son entourage à un risque important et permanent malgré toute tentative de réduire le risque à l’aide de méthodes moins coercitives.


Contexte

L’organisme The Alex a mis sur pied et assuré la direction du Assisted Self-Isolation Site (ASIS), un site d’hébergement d’urgence pour s’auto-isoler. The Alex est un organisme à but non lucratif et fournit des services sociaux et de santé. Il propose une aide intégrée et facile d’accès et des soins attentionnés et complets à la population de Calgary depuis près d’un demi-siècle. The Alex a mis sur pied toute une gamme de programmes de santé, d’hébergement et de services communautaires et se révèle ainsi un centre névralgique où les gens peuvent obtenir des services d’aide et d’information advenant une situation de pauvreté, un traumatisme, une situation d’isolement social ou des problèmes de santé comme une dépendance.

L’équipe de la Calgary Homeless Foundation conseille les gouvernements, les prestataires de services et les chefs de file de la région sur les meilleures façons de tirer profit de leurs ressources et leurs programmes en les combinant pour lutter contre l’itinérance.


Pour en savoir plus au sujet de la démarche décrite dans le présent récit, adressez-vous au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé au [email protected].

Avez-vous une idée de récit pour l’initiative L’équité en action? Si vous avez entendu parler d’autres initiatives visant à promouvoir l’équité en santé dans le cadre de la lutte pour mettre fin à la pandémie.

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