Des professionnels de la santé unissent leurs efforts pour diffuser rapidement de l’information au sujet de la COVID-19 aux communautés sud-asiatiques et plaider pour des systèmes équitables
Ce récit rédigé dans le cadre du projet « L’équité en action » est tiré d’un entretien tenu avec Sabina Vohra-Miller, cofondatrice du South Asian Health Network. La rencontre ayant eu lieu en juin 2022, il importe de la situer dans son contexte d’alors.
Constituant 30 pour cent de la population de l’Ontario, les communautés sud-asiatiques comptaient 45 pour cent des cas de COVID-19 en octobre 2020. Cette surreprésentation découlait directement des structures et des systèmes qui perpétuent les iniquités chez les groupes de population marginalisés. Pour corriger les iniquités, une équipe d’une trentaine de bénévoles – des professionnels de la santé et de la santé publique – s’est mobilisée pour sensibiliser les gens, plaider pour les communautés et faire tomber les barrières. Leur démarche aurait des répercussions au-delà de la Région de Peel, dans les quatre coins du Canada. |
Au début de la pandémie, la collecte de données sociodémographiques ne faisait pas partie des priorités fixées pour comprendre le mode de propagation de la COVID-19. De nombreux organismes ont dû plaider longtemps pour faire prendre conscience de la gravité de la situation pour les communautés racisées. Il fallait absolument procéder à l’évaluation et à la collecte des données pour connaître la situation en temps réel sur le terrain et réagir en conséquence. C’est après avoir commencé à recueillir des données que nous nous sommes aperçus que les communautés sud-asiatiques étaient largement surreprésentées dans le dénombrement des cas de COVID-19.
Autour de 2020, les médias ont commencé à diffuser de l’information voulant que la Divali, une fête religieuse d’importance pour la population sud-asiatique, eût entraîné une flambée des cas de COVID-19 en Ontario. Ils dirigeaient le blâme sur les groupes de population sud-asiatiques plutôt que sur les déterminants sociaux et structurels, les véritables causes en amont des nombreux cas enregistrés. Malgré l’opinion populaire, je peux vous l’affirmer, nos communautés n’organisaient pas de festivités entourant la Divali; les gens étaient malades, ils travaillaient et ils se trouvaient en première ligne.
Un grand nombre de personnes appartenant aux communautés sud-asiatiques occupent un emploi de première ligne dans les secteurs manufacturiers, des transports et de l’entreposage. Elles vivent en général dans un logement intergénérationnel, ce qui crée un milieu propice à la propagation exponentielle de la COVID-19. Les iniquités structurelles (p. ex., précarité d’emploi, logement inadéquat et manque d’accès aux soins de santé) ont eu pour effet de leur faire porter un fardeau inéquitable durant la pandémie.
Unir ses efforts pour lutter contre les iniquités vécues par nos communautés
Je fulminais contre les critiques médiatiques mettant la flambée des cas sur le compte des individus et des festivités de la Divali. Je me suis jointe à des collègues pour rédiger une lettre d’opinion qui a été publiée dans le Toronto Star au sujet des déterminants structurels de la COVID-19 dans les communautés sud-asiatiques. La lettre a attiré l’attention de nombreux professionnels de la santé d’origine sud-asiatique. Ensemble, nous nous sommes posé la question : Comment pourrions-nous atténuer les iniquités vécues par nos communautés? Nous avions tous l’énergie et la détermination de voir à ce que notre population puisse tirer son épingle du jeu malgré la situation difficile.
Le South Asian Health Network est né de cet enthousiasme. La trentaine de bénévoles travaillant dans divers domaines ont commencé à lutter contre certaines iniquités. Les membres appartenaient à la communauté et avaient l’impression qu’il fallait partager la responsabilité de prêter main-forte. Nous avons pu accomplir de grandes choses grâce au bénévolat des membres passionnés du Réseau.
Nonobstant l’apport des membres de nos communautés, nous voir imposer le fardeau de régler des problèmes qui ne relevaient pas de nous mais plutôt des iniquités structurelles m’apparaissait discutable et injuste. Nous nous en occupons parce que nous avons cette responsabilité et ce souci de voir au bien-être de nos communautés. Pourtant, la responsabilité d’agir sur des déterminants structurels qui n’ont rien à voir avec notre population ne peut lui incomber entièrement.
Créer une culture de sensibilisation et de sécurité autour de la COVID-19 et de la vaccination
Pour s’assurer que notre population soit capable de faire des choix éclairés, les bénévoles du Réseau ont adapté l’information au sujet de la COVID-19 en la rendant simple à comprendre pour les membres des communautés sud-asiatiques. Dans la plupart des cas, ils ont traduit eux-mêmes le matériel d’information en diverses langues sud-asiatiques afin de respecter les nuances et le niveau de langue approprié. Les traductions littérales de l’anglais tendent à diluer le contexte et le sens et, de ce fait, n’incitent pas vraiment les gens à agir.
Nous avons tenu des assemblées publiques en mode virtuel pour expliquer la vaccination aux divers groupes de population. Toutes les rencontres Zoom portaient sur des sujets différents, certaines destinées à la population en général et d’autres aux aînés, aux jeunes ou aux femmes enceintes plus explicitement. Les membres du Réseau ont établi un partenariat avec des médias, ce qui a permis la diffusion des assemblées publiques partout au Canada sur des chaînes de télévision sud-asiatiques, telles qu’OMNI Punjabi et Y Media Group. Ils ont en outre pensé aux travailleurs du secteur des transports qui étaient sur la route et donc incapables d’assister à une rencontre Zoom ou de regarder la télévision. Nous avons demandé à l’un de nos membres d’aller à une station de radio punjabi afin de répondre aux questions et de faire de la sensibilisation. Vu que nous avons intégré les notions d’équité et d’accès dans toutes les démarches du Réseau, nous avons pu nous faire entendre par un auditoire beaucoup plus vaste que si nous nous étions limités à Zoom seulement.
Au départ, notre intention était d’expliquer les vaccins et de sensibiliser les gens à la vaccination. Nous nous sommes rapidement heurtés à la barrière à l’accès. Les membres de nos communautés se sont adressés au Réseau pour dire qu’ils voulaient se faire vacciner, mais qu’ils ne savaient pas comment s’y prendre ni où se rendre. Nous avons donc réorienté notre démarche afin de plaider pour qu’une priorité soit accordée à nos communautés dans les campagnes de vaccination. Nous avons ainsi pu obtenir l’installation de sites de vaccination éphémères subventionnés par Santé publique Toronto, les médecins hygiénistes et quelques établissements hospitaliers. Les groupes ciblés par les sites étaient les travailleurs de première ligne d’origine sud-asiatique. Nous avons diffusé l’information par l’entremise d’entreprises locales.
À plusieurs reprises, nous avons ressenti le poids de notre travail. Il faut dire que la participation au Réseau se faisait sur une base bénévole et que tous les membres occupaient un autre emploi. Puis, une personne nous écrivait dans un courriel : « Devinez quoi, après votre séance d’information, notre taux de vaccination est passé de 50 pour cent à 90 pour cent ». De voir nos efforts ainsi récompensés ravivait notre flamme et nous poussait à ne pas lâcher.
S’appuyer sur le pouvoir des liens pour faire entendre notre message à la communauté
Nous nous demandions au départ si nous allions pouvoir accomplir tout ce que nous voulions accomplir avec du bénévolat, sans le moindre argent. Toutefois, avec le temps, nous avons pris conscience du pouvoir de la communauté. Les gens se sont mobilisés autour d’une cause commune, certains n’appartenant même pas à la communauté sud-asiatique. L’esprit du « mettons la main à la pâte et travaillons ensemble » a permis d’aller loin. Comme le gros de notre travail consistait à promouvoir l’équité, nous avons aussi réussi à étendre notre modèle de sensibilisation aux communautés noires et latines de notre région. Cela a prouvé que, si les communautés unissent leurs efforts, la force et la résilience se manifesteront.
Les membres de notre Réseau ont établi un partenariat avec des lieux de culte, des centres culturels et des centres de santé pour diffuser notre message auprès de nos communautés. Nous avons ainsi pu nouer des relations de confiance et élaborer des stratégies ciblées, limitées à des quartiers précis et très bien définies pour faire tomber les barrières. Nous avons aussi fait appel à de nombreux groupes étudiants sud-asiatiques des universités et des collèges et leur avons demandé de collaborer à la diffusion de l’information, dans l’espoir de les voir aussi communiquer les renseignements à leur famille, et plus particulièrement aux aînés de leur parenté. Notre démarche ne s’est pas résumée au travail accompli durant la crise sanitaire. Nous sommes aussi allés à la rencontre des gens et avons tissé des liens. Nous espérons continuer de puiser dans ces relations et cet esprit communautaire tout au long du rétablissement de la pandémie. En ralentissant notre travail de sensibilisation et de vaccination, nous comptons adapter et appliquer le modèle à la lutte contre les problèmes de santé chronique répandus dans nos communautés.
Notre intervention peut servir d’exemple aux autres communautés du Canada. De manière générale, notre travail à titre de professionnels de la santé ne cesse jamais tant que chaque groupe de population n’a pas une chance équitable de vivre en bonne santé et que les ressources investies dans chaque communauté ne suffisent pas à les aider à y arriver.
Leçons retenues :
La collecte de données sociodémographiques comme celles sur la race peuvent faire ressortir les iniquités. Elle se révèle primordiale pour comprendre la manière dont les structures et les systèmes produisent des différences injustes dans l’état de santé des personnes et avoir les connaissances suffisantes pour orienter les efforts de manière à faire tomber les barrières. |
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Pour donner de bons résultats, les activités de sensibilisation de la santé publique doivent assurer la sécurité culturelle, tenir compte des nuances et être sensibles aux différents contextes. Le meilleur matériel d’information est celui créé avec l’aide des membres des communautés ciblées. |
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La force et le pouvoir résident dans la communauté, les relations et le plaidoyer collectif. L’action collective permettra de réaliser les priorités de la santé publique mieux que les efforts en vase clos. Pensons par exemple aux professionnels de la santé mobilisés autour d’une passion commune. |
Ressources connexes
Lettre d’opinion publiée dans le Toronto Star : ‘It’s not Diwali, it’s precarious employment and less health care resources.’ South Asian medical experts on Brampton’s rising COVID-19 cases (en anglais)
Fil de discussion sur Twitter : How we organized the vaccination townhalls (en anglais)
Pour en savoir plus au sujet de la démarche décrite dans le présent récit, adressez-vous au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé au [email protected].
Avez-vous une idée de récit pour l’initiative L’équité en action? Avez-vous entendu parler d’autres initiatives visant à promouvoir l’équité en santé dans le cadre de la lutte pour mettre fin à la pandémie de COVID-19 au Canada? Devrions-nous en parler? Portez-les à notre attention!
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