L’équipe d’intervention d’Island Health atténue les effets de la COVID-19 dans les populations mal logées
Ce récit rédigé dans le cadre du projet « L’équité en action » est tiré d’un entretien tenu avec la Dre Sandra Allison (médecin hygiéniste) et Megan Klammer (directrice des projets spéciaux) au Vancouver Island Health Authority (Island Health). La rencontre ayant eu lieu en décembre 2021, il importe de la situer dans son contexte d’alors.
Lorsque la COVID-19 a dégénéré en pandémie, nous savions qu’il fallait une intervention ciblée et musclée pour nous assurer de fournir l’aide nécessaire dans les quartiers mal desservis de l’île de Vancouver. Le fardeau à porter par les groupes de population mal logés était différent à cause des iniquités structurelles et des barrières à l’accès aux services. En mettant sur pied une équipe pluridisciplinaire dévouée, nous avons pu stopper la propagation de la maladie dans les quartiers où vivent les populations mal logées tout en nouant des relations de confiance que nous continuerons d’entretenir durant et après le rétablissement de la pandémie. |
Pour lutter contre la pandémie, la direction d’Island Health (régie de la santé de l’île de Vancouver) a mis sur pied une équipe d’intervention spécialisée et l’a chargée d’atténuer la propagation de la COVID-19 et le fardeau s’y rattachant dans les populations mal logées. L’intervention visait principalement les individus mal logés que sont par exemple ceux en situation d’itinérance, vivant dans un logement temporaire ou vivant dans de mauvaises conditions de logement. Ces individus rencontrent souvent des difficultés liées au fait d’être sans domicile fixe, en situation de faible revenu ou en situation de vulnérabilité structurelle, d’avoir des problèmes de santé mentale et de consommation de substances psychoactives, de n’avoir pratiquement aucun accès à de l’aide et aux outils technologiques et à l’Internet et d’être la cible de préjugés. Notre objectif a d’abord consisté à éliminer le plus de barrières possibles pour leur faciliter l’accès aux ressources de protection et aux services de santé compte tenu de la nouvelle situation créée par la pandémie, par exemple les tests de dépistage, les espaces d’isolement et la vaccination, tout en soutenant leur fonctionnement quotidien mis à mal à cause de la COVID-19. Nous voulions nous assurer que la gestion des contacts soit possible et que les individus soient capables de déterminer le moment et la façon d’obtenir des soins.
Créer une structure de coordination conçue pour faciliter la gestion communautaire des éclosions de COVID-19
Nous avons conçu une nouvelle structure « locale-centrale » comportant deux types d’équipe distincts afin d’intervenir lors des éclosions. L’équipe « centrale » agissait comme cellule régionale des compétences spécialisées. Les nombreux spécialistes – deux médecins hygiénistes, infirmière spécialisée en maladies transmissibles, responsable en santé environnementale, épidémiologiste, analystes, gestionnaire de projet et gestionnaire en maladies transmissibles – qui en faisaient partie offraient des conseils et du soutien aux équipes mobiles « locales ». L’équipe avait en outre accès aux chercheurs et aux éthiciens de la régie de la santé.
Les équipes mobiles locales travaillaient en dyades (équipes de deux) communautaires pluridisciplinaires et étaient déployées à divers endroits en fonction des éclosions ou des concentrations de cas. Elles fournissaient de l’aide aux populations pour la gestion des éclosions, et demandaient le soutien de l’équipe centrale au besoin. La structure s’est révélée efficace sur plusieurs plans. Les équipes locales étaient reconnaissables et faciles d’accès à titre de personnes-ressources dans le milieu; les agences comme les maisons d’hébergement temporaire savaient qui appeler pour obtenir le soutien de professionnels de la santé pour aider à gérer une situation. En plus, puisque les deux équipes travaillaient main dans la main, en allant jusqu’à communiquer quotidiennement durant les périodes de flambée des cas à traiter, l’équipe centrale tenait le relevé régional de toutes les situations d’éclosion.
Comme équipe, nous nous répétions les quelques devises qui reflétaient notre mission et que nous avions adoptées dans le contexte. L’une était Aider, non pas imposer – pour souligner que nous travaillions en partenariat avec les gens pour les aider à faire de leur mieux sans imposer quoi que ce soit. Une autre de nos devises était De la peur à la fierté – pour évoquer notre mission d’aider les gens du milieu et les partenaires locaux à sentir « que nous savions ce que nous faisions, que nous savions nous y prendre pour atténuer le risque et que ça allait bien aller ».
Établir des partenariats au sein de la régie de la santé et du système en général pour mieux servir les gens du milieu
Notre démarche a fait appel au personnel de plusieurs grandes directions de la régie de la santé de l’île de Vancouver, y compris les soins primaires, la santé mentale et l’usage de substances psychoactives, et à des partenaires de la santé publique. Pour favoriser la réussite des équipes mobiles, nous avons jumelé le personnel de la santé publique, qui ne s’était jamais déplacé sur le terrain jusqu’alors (c.-à-d., les membres du personnel qui n’avaient aucun lien avec le groupe de population) avec d’autres membres du personnel ayant l’expérience et étant bien placés pour combler cette lacune. Le personnel de la santé mentale et de l’usage de substances psychoactives a acquis les compétences requises pour assurer l’immunisation, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le personnel des soins primaires s’occupait des consultations virtuelles avec notre équipe mobile, et certains de membres travaillaient sur place. Nos équipes mêmes de la régie de la santé se sont soudainement retrouvées à travailler ensemble et à apprendre ce que faisaient leurs collègues sous une nouvelle lumière – et nous avons noté que l’habitude se poursuivait encore.
Nous avons également travaillé en partenariat avec des organismes communautaires et des pairs aidants du milieu pour nous assurer d’arriver sur place avec ce que nous appelons des « visages sympathiques » pour la clientèle. Nous dressions la liste des personnes ayant ce genre de visage et connues dans le quartier. Nous informions ces personnes de notre mandat, de nos objectifs et de nos recommandations. Nous travaillions ensuite côte à côte pour passer le message et pour être à l’écoute des gens du milieu. Nous devions nous entraider pour minimiser la propagation de la COVID-19 et venir en aide aux personnes touchées.
Lorsque nous avons constaté une « forte concentration », c’est-à-dire un grand nombre de cas, dans certains quartiers, nous avons invité un groupe de partenaires locaux à participer à des réunions virtuelles quotidiennes pour bâtir un plan d’action. Nous y avons invité de hauts fonctionnaires municipaux, des responsables de maisons d’hébergement temporaire, des gestionnaires du programme de logement supervisé, des décisionnaires de BC Housing, des médecins, des organismes autochtones et des membres d’une bande autochtone. Nous nous sommes réunis pour débattre des moyens à prendre, comme communauté, pour atténuer et prévenir les méfaits. Chaque partenaire apportait un point de vue différent – et nous avons été capables de coopérer de façon créative pour élaborer des plans d’intervention chaque fois différents en puisant dans les forces de chaque partenaire prenant part au processus.
Pour certains groupes de population précis, nous avons aussi organisé des « rencontres hebdomadaires pour discuter de santé et de logement en lien avec la COVID-19 » où tout le monde pouvait poser des questions. Nous avons tenté d’expliquer aux gens se démenant pour surmonter les difficultés « que nous étions tous dans le même bateau, que nous allions répondre à leurs questions et que nous trouverions les solutions ensemble ». Nous avons reçu beaucoup de commentaires positifs sur la facilité avec laquelle il était possible de parler avec les membres de notre équipe, d’obtenir des réponses rapidement et de recruter des personnes en mesure d’aider à trouver des solutions. Une personne a déclaré que ces rencontres virtuelles l’avaient aidée à garder les deux pieds sur terre, en sachant qu’elle recevait les dernières nouvelles et qu’elle avait accès à beaucoup d’aide. Nous avons aussi pu colliger les questions et les réponses et faire profiter d’autres groupes de population de l’information recueillie.
Adapter le modèle de prestation des services de manière à diminuer les barrières
En plus de la collaboration de tout le monde au sein de la régie de la santé, l’accord organisationnel d’employer une démarche différente pour ce groupe de population et de puiser dans les ressources internes et externes a joué un rôle crucial. La démarche externe faisait appel à du personnel intervenant sur place dans les lieux vers où convergent les individus, alors que la démarche interne impliquait d’établir un partenariat avec un organisme établi afin d’organiser des services continus, comme la vaccination. Pour les personnes capables de se rendre dans une clinique de vaccination de masse, nous avons utilisé un mot de passe pour essayer de réduire les barrières. L’individu n’avait pas à prendre un rendez-vous ou à faire la file. Il donnait le mot de passe à l’entrée, et nous lui indiquions la porte de côté où une personne sortait administrer le vaccin. Nous savions qu’il n’était pas possible pour tous les individus de faire la file ou de se trouver dans un endroit grouillant de monde où ils étaient susceptibles d’être traités d’une façon qui n’améliorerait en rien leur relation avec le système de santé. Pour les personnes qui n’étaient pas en mesure de se rendre à un centre de vaccination de masse, même avec le mot de passe, nous avons compté sur les équipes internes et externes et les visages sympathiques dont nous avons fait mention plus haut pour administrer les vaccins dans toutes sortes d’endroits dans la collectivité. Nous avons procédé de la même façon pour le dépistage et la vérification du bien-être. Grâce à l’aide de nos partenaires et des personnes ayant des liens avec les gens du milieu, nous avons pu déterminer les endroits les plus à risque et y employer une approche ciblée.
Soutenir les gens adéquatement en honorant où ils en sont dans leur vie
Au début de notre intervention, nous avons utilisé un processus complexe pour aider les individus en isolement. Nous en sommes venus à savoir bien répondre aux besoins, par exemple en assurant l’accès à Netflix, à un iPad, à des consoles de jeu, à du cannabis, à de l’alcool – et ainsi de suite. Notre démarche a parfois fait sourciller et poser des questions sur les limites à imposer. Nous avons tenté de veiller à ce que les partenaires comprennent la nature de l’aide médicale nécessaire et la corrélation entre la conformité aux exigences d’isolement et la satisfaction des besoins. Nous savions que, pour les personnes ayant un logement, les autorités ne s’immisçaient pas et ne s’ingéraient pas dans leur vie. Nous savions aussi que ce ne serait pas un modèle viable à long terme ni applicable à l’ensemble de la population. À l’échelle mondiale, les connaissances sur le virus étaient encore relativement nouvelles et l’isolement se révélait une stratégie efficace lorsque c’était possible.
L’approche de la réduction des méfaits a joué un rôle crucial dans la stratégie. Nous devions aller à la rencontre du groupe de population et réellement essayer d’en comprendre le seuil et la capacité de tolérance, le seuil de vitalité, le degré de maîtrise de l’information en matière de santé et le degré de mésinformation si nous voulons les soutenir et nous montrer dignes de confiance. Cette prise de conscience s’est révélée très importante pour notre travail. Nous devions revenir à la base et nous assurer de chercher à bien comprendre les personnes vulnérables de notre collectivité, dans leur milieu et leur contexte et à connaître les ressources et les personnes-ressources le mieux possible. À partir de ce moment, nous pouvions nous porter à leur défense et réfléchir à la meilleure façon d’intervenir. Nous éprouvons de la reconnaissance de savoir que nous avons eu la latitude voulue pour aller si loin. À la fin, nous évaluerons certainement notre démarche afin de savoir ce que nous pourrions améliorer – en recueillant les commentaires de nos partenaires provinciaux au sujet du rôle tenu par chaque prestataire de services. Le chevauchement entre la santé et les conditions sociales s’accentue encore plus lors d’une flambée de maladie transmissible.
Surmonter les préjugés et la méfiance vécus par les personnes mal logées
Les préjugés et l’attitude paternaliste envers les populations en situation de marginalisation et de défavorisation se sont révélés pour nous de grosses barrières à surmonter. Nous savions que la peur avait une emprise sur un certain nombre de nos collègues. Par exemple, avant d’entrer dans une maison d’hébergement temporaire, des collègues enfilaient leur blouse, leurs gants et leur masque dans le parc de stationnement même s’il s’agissait d’un établissement de plusieurs chambres. La perception du risque était disproportionnée et pleine de préjugés. En plus, ce genre de comportement était susceptible de perpétuer le cycle de la peur. Il n’était pas toujours facile de nous arrêter dans notre élan et de dire : « calmons-nous un peu, revoyons la procédure de revêtement de l’EPI, supprimons le préjugé de notre propre perception du risque et réfléchissons aux conséquences des préjugés pour notre client et le reste de la collectivité ».
Pour venir en aide à un groupe de population mal logé, nous devions en outre lutter contre la grande méfiance du personnel du gouvernement et des fournisseurs de soins de santé. Dans leurs interactions, des individus ont peut-être fait l’objet de préjugés et de racisme ou vécu des traumatismes dans le passé proche ou lointain. Toute interaction avec des membres du personnel du système de santé et des autres services publics influence le lien de confiance, ce qui influe aussi sur la volonté et la capacité des individus de suivre les consignes de la santé publique. Nous avons dû prendre conscience du bien-fondé du scepticisme et de la méfiance concernant les consignes, même lorsque c’est possible de les suivre. Agir pour au lieu d’avec peut provoquer un traumatisme, alors nous devions réévaluer nos pratiques courantes et leur incidence sur les individus.
Pour combler cette lacune, nous avons essayé de trouver des personnes ayant un lien – de confiance – avec le groupe de population et en mesure de se rendre sur place, de parler aux gens et de continuer d’entretenir ce lien de confiance. La liste comportait des pairs aidants, des champions de la communauté, des travailleurs de la santé, des médecins et des travailleurs de proximité – ce qui variait d’un endroit à un autre, et chez les individus au sein des poches de concentration de population. Cet écart nous a rappelé l’importance d’adapter chaque intervention à chaque situation.
Entrevoir un avenir où chaque communauté dispose des ressources voulues
Les efforts ont mis en lumière l’interconnexion entre les systèmes. Bien des gens se tournaient vers les systèmes de santé pour trouver des solutions au sujet de la COVID-19. Nous leur avons répondu qu’il était possible et préférable d’agir localement et que nous allions unir nos forces. Dans certains quartiers, l’entraide s’est organisée en quelques jours, tandis qu’ailleurs, les gens montraient des signes d’épuisement et se trouvaient pratiquement sans ressource. L’une des grandes leçons tirées de notre intervention est que les iniquités structurelles créent des inégalités d’un quartier à un autre en termes de capacité et de ressources. Lorsqu’une crise comme la pandémie de COVID-19 éclate, les membres des diverses communautés n’ont pas toute la même capacité de s’adapter. Comme nous l’avons constaté dans notre intervention, le fait de faire preuve de souplesse dans l’aide et les ressources fournies peut faire en sorte que les gens unissent leurs forces pour mettre fin à la crise à leur façon. Nous espérons voir à l’avenir le système de santé affecter des ressources au renforcement de la capacité et de la résilience à l’échelle locale afin que les gens de tous les quartiers soient mieux outillés pour répondre aux besoins les plus pressants en matière de santé.
Leçons retenues :
La création d’une structure d’intervention « locale-centrale » composée d’individus provenant de différents ministères, de diverses disciplines et du milieu local a permis à la régie de la santé de l’île de Vancouver de fournir une aide adaptée et souple aux partenaires locaux pour répondre aux besoins du groupe de population. |
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L’établissement de partenariats avec des pairs aidants, des gens du milieu et des membres du personnel des organismes ayant noué une relation de confiance avec les personnes mal logées a facilité la tâche du nouveau personnel de tisser des liens avec ce groupe de population. Ce faisant, le personnel a été capable de rendre les services plus faciles d’accès, plus cohérents et plus acceptables (p. ex., administrer les vaccins sur place). |
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La collaboration entre les agences à tous les échelons et dans tous les secteurs favorise une intervention globale fondée sur les compétences, l’expérience et les forces des divers acteurs. |
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Il faut que les gens des divers milieux puissent disposer de l’aide et des ressources voulues pour être capables de s’occuper de ses propres priorités. Il importe de tenir compte de la résilience communautaire dans la répartition équitable des ressources de la santé publique. |
Contexte :
Island Health (régie de la santé de l’île de Vancouver anciennement appelée Vancouver Island Health Authority) a pour mandat de fournir des soins de santé et des services d’aide à plus de 860 000 insulaires de l’île de Vancouver et des îles de la mer des Salish et du détroit de Johnstone ainsi qu’aux collectivités situées sur le continent, au nord de Powell River.
Pour en savoir plus au sujet de la démarche décrite dans le présent récit, adressez-vous au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé au [email protected].
Avez-vous une idée de récit pour l’initiative L’équité en action? Si vous avez entendu parler d’autres initiatives visant à promouvoir l’équité en santé dans le cadre de la lutte pour mettre fin à la pandémie de COVID-19 au Canada, n’hésitez pas à en informer.
Balises
Accès aux services de santéEngagement communautaireCOVID-19LogementAction intersectorielleStigmatisation, discriminationDéterminants structurelsConsommation de substances