Priorité à l’équité en santé dans les interventions de Santé publique Hastings-Prince Edward pour mettre fin à la pandémie de COVID-19
Ce récit rédigé dans le cadre du projet « L’équité en action » est tiré d’un entretien tenu avec Victoria Law (infirmière de santé publique chargée des déterminants sociaux de la santé) au bureau de santé publique Hastings-Prince Edward. La rencontre ayant eu lieu en septembre 2021, il importe de la situer dans son contexte d’alors.
Lorsque le nombre de cas s’est mis à grimper à l’automne, je me souviens qu’un gestionnaire est venu me voir. Je pensais au départ que mes collègues demanderaient mon aide pour la gestion des cas et des contacts, ce qui aurait été logique. À la place, on me disait : « c’est une bonne chose que tu fasses ce travail », ce qui me confortait dans mon rôle et dans ma démarche d’équité en santé. C’est que j’avais parfois l’impression de les abandonner, et de ne pas les aider quand ils devaient appeler des gens jusqu’à 20 heures, le soir… Mais ces paroles de soutien m’ont fait sentir que, oui, d’accord, je suis à la bonne place et j’aide à réduire le nombre de personnes qui deviendront malades. |
La COVID-19 devient une réalité dans la région de Hastings-Prince Edward et personne ne vit la pandémie de la même manière
Les autorités avaient au départ associé la COVID-19 aux voyages internationaux. Comme équipe de Santé publique Hastings-Prince Edward, nous avons donc commencé par consacrer nos efforts au rapatriement sanitaire et à la mise en quarantaine, non pas à la transmission communautaire. Les choses ont rapidement pris une autre tournure en mars 2020. Nous avons dû nous interroger à l’interne sur les mécanismes à mettre en place pour nous occuper des cas de COVID-19 dans notre propre région. L’automne précédent, j’avais entamé mes fonctions d’infirmière de santé publique chargée des déterminants sociaux de la santé, alors j’avais déjà commencé à nouer des liens. Je m’y suis donc attelée de nouveau.
Lors du premier confinement, les personnes en situation d’itinérance ont bien entendu formé l’un des groupes sociaux les plus disproportionnellement désavantagés. Nous avons commencé à nous interroger sur les moyens à mettre en place pour les aider à bien suivre les consignes de santé publique. Comment faire pour nous assurer que ces individus puissent respecter la distanciation sociale, s’isoler s’ils devenaient malades, se faire tester s’ils présentaient des symptômes, se laver les mains, se procurer des masques propres… bref, tout ce à quoi ils n’avaient pas facilement accès? Nous nous sommes tournés vers nos partenaires du milieu communautaire, des services sociaux et des soins de santé de la région qui nous ont aidés à répondre aux besoins dans l’immédiat et tout au long de la pandémie.
Nous savions que nous n’arriverions pas à éliminer les problèmes de disproportion et de désavantage. Alors, comment modifier le contexte pour combler le fossé? Par exemple, il n’y avait pas suffisamment d’endroits où les personnes en situation d’itinérance avaient la possibilité de s’isoler. Nous avons donc fait appel aux hôtels pour trouver des places, mais tout le monde avait très peur et les hôtels étaient déjà fermés. Nous nous sommes donc retrouvés dans le gymnase vide d’un centre des loisirs local, puis dans le gymnase d’une école secondaire vacante. Cela présentait des défis, parce que ce n’était pas les meilleurs endroits pour s’isoler. Nous ne pouvions pas faire mieux compte tenu des ressources à notre disposition dans notre région.
Lorsque nous avons commencé à la conscientiser à ces problèmes, la population s’est bien rendu compte qu’il fallait intervenir pour trouver des solutions. La pandémie a mis en évidence les différences dans l’état de santé des gens selon leur situation. Nous avons profité de l’occasion pour tracer le portrait des iniquités et ancrer dans l’esprit des gens qu’il s’agissait ni plus ni moins du résultat du manque de soutien adéquat. Nous espérions provoquer un changement dans les politiques – à court ou à plus long terme.
Rallier la population autour d’une intervention équitable
Nous avons reçu les premiers temps un grand nombre d’appels téléphoniques, non seulement de la part de nos partenaires, mais aussi des décisionnaires locaux, comme les maires des municipalités de la région et les députés du gouvernement provincial, au sujet de la provenance des fonds pour lutter contre la pandémie. Il y a aussi eu de la confusion autour de l’attribution des responsabilités. Les acteurs de nombreux organismes jugeaient que la crise en était une de santé publique et qu’il revenait donc à la santé publique de se charger des détails. Nous devions collaborer avec nos partenaires locaux à mieux faire comprendre que nous travaillerions avec nos partenaires des services sociaux afin de garantir un gîte à tout le monde, mais que la santé publique ne recevait pas de fonds à cet effet.
La responsabilité ne revient certes pas comme telle à la santé publique, mais celle-ci a la responsabilité d’aider à coordonner les parties prenantes de notre région pour voir ce qui est possible de faire pour aider les gens. Nos partenariats avec les acteurs locaux ont pris de l’ampleur, et nous avons tenu des réunions souvent : moi-même et des représentants des services sociaux, d’une église offrant des repas quotidiens aux personnes sans domicile fixe et du centre d’hébergement. Au téléphone avec notre direction, le maire et les députés savaient manifestement où se situaient les problèmes et où devaient aller les fonds. Cela s’est révélé utile, parce que notre population n’est pas en sécurité si nous ne corrigeons pas les lacunes pour les personnes en situation d’itinérance.
Il était plus facile pour nos partenaires communautaires d’avoir un seul point d’accès. Je me suis rendu compte que j’étais là comme infirmière de santé publique chargée des déterminants sociaux de la santé, non pas comme inspectrice de la santé publique. J’avais tout de même la possibilité de les aiguiller vers mes collègues s’ils voulaient des conseils au sujet de la réglementation, comme si je faisais une passe rapide à la santé publique. Je pouvais aussi agir comme courroie de transmission pour notre équipe d’inspection, et je pense même l’avoir aidée en matière d’équité en santé. Voilà sans doute une voie à explorer à l’avenir, car il est important pour elle de continuer à prendre conscience de l’incidence de l’équité en santé dans son travail. Certains pourraient dire que mes fonctions se réduisent à surveiller l’hygiène dans les restaurants et les salons de manucure. Pourtant, l’équité en santé fait tout autant partie de ce travail – sans que ça saute aux yeux.
Donner la priorité aux données locales et aux interventions axées sur l’équité
À l’automne 2020, j’ai pu procéder à une évaluation de l’impact de la COVID-19 sur l’équité en santé en lien avec les personnes en situation d’itinérance. Après avoir fait connaître mon intention au conseil de santé et terminé mon évaluation, je suis revenue devant le conseil de santé pour parler de la nécessité de prévoir un endroit chauffé dans notre région et des seuils de température à fixer pour y donner accès en m’appuyant sur mes conclusions. Le rapport a aidé à signifier aux autres cadres de direction à l’interne et à nos partenaires locaux que l’équité en santé était une priorité et que ça ne changerait pas. En plus, il nous a permis, en tant qu’organisation ayant pour principe de prendre des décisions fondées sur des données probantes, de disposer de l’information de qualité nécessaire pour soutenir notre travail, ce qui nous laissait poursuivre dans la même voie.
Je tiens à souligner l’importance de collecter des données locales de qualité qui serviront au processus décisionnel. Les études canadiennes ou réalisées dans d’autres régions géographiques ne manquent pas. Pourtant, il faut absolument connaître le portrait de la situation dans votre propre région, et les décisionnaires comptent là-dessus. Nous savons que les données vont confirmer l’importance du travail d’équité en santé et de ses effets sur l’état de santé des gens. Or, il faut être en mesure de l’étayer et de montrer les tenants et les aboutissants et le contexte dans lequel la situation s’est produite.
Parce que nous en avons fait une priorité et avons parlé d’équité en santé et d’itinérance tout l’automne et jusqu’en hiver, il s’est révélé plus facile de m’affecter à l’équipe chargée de la campagne de vaccination. J’ai pu donner à mes collègues une perspective au sujet de l’équité à laquelle ils n’auraient sans doute jamais songé pour la campagne de vaccination. J’espère que cela a donné lieu à une stratégie plus juste et plus équitable dès le départ.
Selon moi, la réussite réside dans la possibilité de présenter de l’information locale aux membres de notre conseil de santé et à nos parties prenantes, de fournir des données probantes obtenues grâce aux évaluations d’impact sur l’équité en santé et de continuer d’avoir voix au chapitre dans les processus de planification stratégique et d’établissement des priorités.
J’étais certainement contente de voir que la direction de l’organisme m’encourageait à continuer d’exercer mes fonctions d’infirmière de santé publique chargée des déterminants de la santé. Devant l’augmentation du nombre de cas à l’automne, il a été question de m’affecter à la gestion des cas et des contacts. Notre médecin hygiéniste intérimaire de l’époque faisait toutefois de l’équité en santé une priorité. Lors du processus de planification de la continuité des opérations, à l’été, elle a formellement indiqué que rien ne changerait sur ce plan, et ce, jusqu’à la fin de la pandémie. Je pense que, pour l’ensemble des gestionnaires présents, sa remarque ne laissait planer aucun doute sur l’importance de mon rôle.
Et l’avenir?
Quand je songe à l’avenir, ma liste de souhaits est longue par rapport à l’équité en santé. Nous devons toutefois commencer doucement. L’une des clés concerne l’importance d’ancrer l’équité en santé et les valeurs s’y rattachant dans les activités de l’organisme. Il faut notamment mettre en place un plan stratégique distinct sur le sujet, mais aussi veiller à ce que la notion se reflète dans tout ce qu’accomplit le personnel, de l’équipe d’inspection en santé publique à celle de la réception. Quel que soit son poste dans l’organisme, tout le monde a un rôle à jouer pour l’équité en santé.
Un autre point non négligeable consiste à rendre le perfectionnement et les compétences en matière d’équité en santé obligatoires. La question relève des compétences et des pratiques de santé publique. Chaque membre du personnel en porte la responsabilité. L’organisme doit en plus veiller à ce que le personnel reçoive le soutien et le perfectionnement nécessaires pour accroître ses compétences en la matière. J’ai entendu des commentaires du genre « ça regarde l’équité en santé, c’est à toi d’y voir, pas à moi », ce qui me donne à penser qu’il me reste encore du pain sur la planche.
Leçons retenues :
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La collaboration avec les partenaires communautaires implique de clarifier et de comprendre les rôles respectifs, et l’une des responsabilités de la santé publique consiste à aider avec la coordination des parties prenantes pour soutenir la population locale. |
Contexte :
Santé publique Hastings-Prince Edward est une agence de santé publique desservant les comtés de Hastings-Prince Edward depuis les bureaux locaux situés à Bancroft, à Belleville, à Picton et à Quinte West. Le personnel a pour tâches de surveiller l’état de santé de la population locale, de fournir des programmes et des services sur son territoire et de participer à l’élaboration des politiques publiques favorables à la santé. Il diffuse de l’information et s’active dans bien des domaines afin d’aider à améliorer la santé et le bien-être des populations de la région.
Ressources :
Health equity impacts of COVID-19 on people experiencing homelessness: Executive summary (en anglais)
Pour en savoir plus au sujet de la démarche décrite dans le présent récit, adressez-vous au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé au [email protected]
Avez-vous une idée de récit pour l’initiative L’équité en action? Avez-vous entendu parler d’autres initiatives visant à promouvoir l’équité en santé dans le cadre de la lutte pour mettre fin à la pandémie de COVID-19 au Canada? Devrions-nous en parler? Portez-les à notre attention!