Le Centre d’isolement volontaire de Toronto répond aux besoins de la population et limite la propagation de la COVID-19
Ce récit rédigé dans le cadre du projet « L’équité en action » est tiré d’un entretien tenu avec Sandy Zidner, gestionnaire, Direction de la santé et du développement de l’enfant, et Rachael Markovsky, gestionnaire, Direction de la lutte contre les maladies transmissibles, à Santé publique Toronto. La rencontre ayant eu lieu en janvier 2023, il importe de situer le récit dans le contexte d’alors.
Quand la régie de la santé donnait aux gens la consigne de s’isoler, plusieurs demandaient : « Pourquoi? Comment? Comment faire si nous sommes cinq à vivre dans un logement d’une chambre à coucher? » Il leur fallait un endroit où s’isoler, à l’écart, afin d’éviter la propagation de la COVID-19 chez eux. Le Centre d’isolement volontaire de Toronto a été mis sur pied pour répondre à ce besoin. La souplesse des processus, le respect mutuel entre les partenaires et le soutien indéfectible fourni au personnel ont joué un rôle prépondérant dans la réduction du risque de transmission du coronavirus et la protection de la population. |
Répondre au besoin d’aide nécessaire pour respecter les mesures d’isolement
Le personnel de Santé publique Toronto est bien au fait de la crise du logement à Toronto. Le manque de logements abordables et faciles d’accès exacerbe l’insécurité du logement. Des gens se retrouvent parfois ainsi en situation d’itinérance, vivant dans la rue ou dans des campements de fortune, et d’autres, dans des conditions de logement surpeuplé. Ce genre de contexte complique encore plus la gestion des maladies infectieuses ou transmissibles.
Dans leurs activités de gestion des cas et des contacts durant la pandémie, le personnel de Santé publique Toronto devait informer des individus de l’obligation de s’isoler. Parmi ceux-ci, plusieurs demandaient : « Pourquoi? Comment? Comment faire si nous sommes cinq à vivre dans un logement d’une chambre à coucher? » Certains appelaient aussi la ligne d’aide, un service d’information sur l’isolement, et demandaient ce qu’ils étaient censés faire pour préparer leurs repas, aller à l’épicerie, avoir accès à la douche ou utiliser les espaces communs pendant la période d’isolement alors qu’ils vivaient avec d’autres. Il fallait de toute évidence fournir aux gens un endroit où ils pouvaient s’isoler en toute sécurité, loin de tout le monde, durant la pandémie. L’hôpital n’était pas une option. Pour répondre au besoin, Santé publique Toronto a présenté une demande de subvention au gouvernement fédéral, puis le Centre d’isolement volontaire de Toronto (le Centre) a vu le jour.
En septembre 2020, le Centre a ouvert ses portes. Il avait pour mandat de fournir aux personnes testées positives à la COVID-19 un endroit où s’isoler afin de prévenir la propagation du virus à leur domicile. Toute personne à risque de contracter la maladie après avoir été en contact avec un individu ayant reçu un résultat positif à un test de dépistage était la bienvenue. Le personnel du Centre a défini les critères d’admission au Centre en priorisant la sécurité de la population locale aussi bien que la sienne et en suivant le principe du libre choix.
Ouvrir les portes et assurer le fonctionnement du Centre
Les fonds en main, l’équipe de Santé publique Toronto devait maintenant mettre sur pied le Centre. Elle marchait en terrain inconnu. Elle a mené une revue de la littérature et des entretiens avec des informateurs clés pour savoir ce qui se faisait ailleurs. L’équipe a en plus communiqué avec les responsables du service d’hébergement temporaire et d’aide à la recherche de logement qui avaient déjà mis sur pied un site d’isolement pour les personnes cognant à la porte des refuges, mais testées positives à la COVID-19.
Santé publique Toronto chapeautait le Centre. Il devait donc en surveiller le financement, les activités courantes et la communication des résultats. Nous nous sommes adjoint des partenaires clés au sein de la Ville de Toronto, y compris le personnel du service de la gestion d’entreprise et de l’immobilier, des services ambulanciers paramédicaux, du service de sécurité et du service d’hébergement temporaire et d’aide à la recherche de logement. Comme celui-ci avait déjà établi un partenariat avec le Silver Hotel Group, ayant mis sur pied le site d’isolement destiné aux utilisateurs des services d’hébergement temporaire, nous avons pu tirer parti de la relation.
Naviguer les partenariats avec humilité et respect
Chaque partenaire faisait profiter le Centre de son savoir-faire par rapport aux diverses tâches à remplir sur place. Un centre de ce type n’avait encore jamais existé. Il n’y avait aucun manuel d’instructions. Nous devions donc constamment nous le rappeler. Il fallait absolument nous montrer ouverts aux nouvelles idées et respecter l’expérience et le savoir-faire de tout le monde.
Par exemple, le personnel des Services ambulanciers paramédicaux s’occupait déjà des tests de dépistage à la COVID-19 sur le terrain et avait déjà établi des protocoles à cet effet, alors c’est lui qui en a piloté l’instauration au Centre. Il a élaboré un plan, et nous avons uni nos efforts pour l’exécuter. Nous avons rédigé des documents ensemble afin d’expliquer les rôles et responsabilités de chaque partenaire et la mécanique du travail d’équipe.
La communication ouverte a constitué la pierre angulaire du travail collaboratif. Pour y parvenir, nous avons tenu des réunions tous les matins, tous les jours de la semaine, avec tous les partenaires dans le hall d’entrée de l’hôtel – à 6 pieds de distance. Nous revenions sur les problèmes et les défis que nous avions eu à affronter et réussi à régler ensemble et sur nos bons coups. Même les propriétaires de l’hôtel nous appelaient ou venaient faire un tour durant la journée et allaient jusqu’à nous aider à trouver des solutions et à les implanter ensemble.
Encourager les gens à venir au Centre en faisant tomber les barrières
Après l’ouverture du Centre d’isolement volontaire, nous devions voir à éliminer les obstacles à l’accès pour les personnes qui en avaient besoin. Des utilisateurs nous ont signalé que certaines personnes ne faisaient pas appel au Centre parce qu’elles en ignoraient l’existence. Nous avons également reçu des commentaires des responsables de la ligne d’aide téléphonique utilisée pour demander une place au centre. Les heures de forte demande, les personnes au bout du fil étaient mises en attente et la communication était coupée après une heure d’attente. Parfois, le nombre de personnes en attente était tel qu’il était impossible pour d’autres d’obtenir la communication.
Pour résoudre le problème, nous avons noué un partenariat avec le Centre d’évaluation de la COVID-19 et, ensemble, nous avons créé un système d’aiguillage direct pour les personnes devant trouver un endroit sûr où s’isoler le temps d’attendre les résultats. Nous avons aussi créé un système d’aiguillage direct en concertation avec le groupe d’action pour l’équité des services liés à la COVID-19, un groupe formé d’une dizaine d’organismes partenaires travaillant sur le terrain dans les zones de la ville où des inégalités de santé se faisaient ressentir. Les mesures ont aidé à simplifier une partie des processus avec les centres communautaires locaux et à retenir l’attention des individus nécessitant nos services à l’échelle locale.
Nous avons par ailleurs conclu un partenariat de la plus haute importance avec le Réseau universitaire de santé Women’s College Hospital afin de fournir un soutien aux personnes se déplaçant à Toronto pour se faire soigner. Les personnes testées positives à la COVID-19 et qui devaient absolument venir quelques jours à Toronto afin de recevoir des traitements pour un cancer ou des soins à la suite d’une transplantation demeuraient au Centre le temps des rendez-vous à l’hôpital avant de retourner chez eux. Tout cela grâce aux liens établis après qu’un médecin hygiéniste adjoint a eu vent du besoin lors d’une réunion avec des partenaires locaux.
Adapter les services à mesure qu’évoluent les besoins de la population
L’adaptabilité et la souplesse se sont révélées cruciales dans la capacité de répondre aux besoins de la population. Seulement quelques membres du personnel de Santé publique Toronto travaillaient au Centre, soit deux chargés des admissions et un autre, des réservations. Il y avait dès lors des limites dans la rapidité avec laquelle les gens pouvaient arriver au Centre. Lorsque les diverses vagues de COVID-19 faisaient grimper la demande, le personnel affecté à la ligne téléphonique consacrée à la COVID-19 avait reçu la formation nécessaire pour recueillir les renseignements de base de la personne au bout du fil afin de déterminer si elle était admissible à une place au Centre. Durant la durée de vie du Centre, il est arrivé seulement une ou deux fois où un individu n’a pu se rendre la même journée.
Nous avons adapté notre approche au fil des commentaires reçus, expérimenté de nouvelles façons de faire et écouté les individus d’un grand savoir autour de la table. Le respect des connaissances et compétences variées de nos partenaires nous a permis de bien fonctionner comme équipe. En facilitant l’autonomie de nos partenaires dans le Centre, nous avons fait en sorte que tout le monde se sente bien à l’idée de venir travailler et de se côtoyer.
Mesurer l’impact du Centre au moyen de mécanismes d’évaluation
Tout au long du projet, nous avons pris le temps d’écouter les utilisateurs. Grâce à un sondage de satisfaction, nous avons recueilli des commentaires et nous en avons tenu compte. Nous avons apporté des améliorations afin de répondre aux besoins exprimés. Nous avons par exemple créé une salle de jeu pour les jeunes enfants, une salle de purification par la fumée et un endroit consacré à la prière et modifié nos protocoles pour que les couples et les familles puissent partager les mêmes pièces.
Avec l’aide de Santé publique Ontario, nous nous sommes en outre soumis à un processus d’évaluation afin d’améliorer le fonctionnement du Centre et de voir si le Centre avait aidé à réduire la propagation du coronavirus là où vivaient les gens. Plus de 80 pour cent ont déclaré que le fait de demeurer au Centre avait aidé à prévenir la propagation de la COVID-19 dans leur lieu de résidence. Il arrivait parfois qu’une personne ayant terminé sa période d’isolement confie à un membre du personnel : « Merci beaucoup; personne n’a attrapé la COVID-19 chez moi », ou encore : « J’ai pu protéger ma mère », ou encore « J’ai pu protéger mes enfants », ou encore « Merci de nous avoir laissés demeurer ici ». De tels témoignages nous rappelaient avec éloquence toute l’importance que revêtait notre travail.
Soutenir le personnel pour soutenir la population locale
Aucun membre du personnel de la santé publique n’avait jusqu’alors géré un Centre d’isolement volontaire. Pourtant, l’excellente équipe mise sur pied à cet effet en était l’épine dorsale. Des membres de l’équipe étaient ajoutés au besoin et choisis en fonction de leur intérêt et de leurs compétences. Il fallait absolument s’assurer de disposer de suffisamment de temps pour soutenir l’équipe du Centre, parce qu’il peut arriver lors d’une situation d’urgence de l’oublier pour répondre à d’autres impératifs, comme la collecte de données et les rapports financiers. Il faut consacrer le temps et l’énergie émotionnelle nécessaires pour aider une équipe à naviguer les problèmes et les changements constants. Il importe toutefois de ne pas en sous-estimer l’importance.
Il était difficile pour les membres de l’équipe du Centre d’assurer une présence quotidienne alors que leurs collègues du bureau de santé publique avaient la possibilité de travailler de la maison. Nous avons veillé à élaborer un plan de sécurité rigoureux, car nous ne voulions pas d’une éclosion de COVID-19 au Centre. Nous avons aussi tâché de fournir au personnel tout le soutien utile, quel qu’il soit. La philosophie du Centre voulait que si vous vous occupez de votre équipe, votre équipe s’occupera des gens.
Tirer parti des leçons apprises pour soutenir une démarche souple et collaborative
En repensant au grand nombre de personnes qui ont reçu notre aide (plus de 2200), à l’ensemble des processus que nous avons créés et corrigés et à tous les commentaires reçus des gens qui sont passés au Centre, nous éprouvons une fierté d’avoir accompli quelque chose. Les leçons retenues de notre démarche pourront s’appliquer à d’autres enjeux ou dossiers de santé publique susceptibles de survenir dans l’avenir.
Enfin, certaines situations observées durant l’intervention ont fait ressortir la gravité de la crise du logement à Toronto et les difficultés affrontées par certaines personnes qui tentaient de suivre les consignes d’isolement. Les trois histoires vécues ci-dessous ont laissé une trace indélébile sur l’équipe du Centre.
Tout au long de la pandémie, l’équipe est venue en aide à de nombreux étudiants internationaux aux prises avec des inégalités du logement, comme le fait de vivre dans un logement surpeuplé. Dans un cas, deux étudiantes qui ne formaient pas un couple partageaient non seulement la même chambre, mais le même lit. Les deux ont soumis une demande au Centre dès l’apparition des symptômes et après avoir testé positives à la COVID-19.
Dans un autre cas, un jeune homme nous a appelés de l’intérieur du placard où il s’était réfugié pour s’isoler. Il craignait d’en sortir parce que d’autres personnes qui vivaient sous le même toit que lui avaient testé positives à la COVID-19 et qu’il n’avait nulle part où aller. Voilà deux exemples qui en disent long parce qu’ils montrent les répercussions des déterminants sociaux de la santé comme le logement sur le bien-être des gens.
Dans le troisième cas, qui nous a frappés au plus haut point au Centre, notre équipe a travaillé avec le répartiteur d’une entreprise de taxi bien après minuit afin de trouver un homme sans domicile fixe et encore dehors malgré la tempête de neige. Le Centre d’isolement volontaire accueillant les utilisateurs du système d’hébergement temporaire affichait complet et ne pouvait pas lui assurer un lit. Comme nous disposions d’une place au Centre, nous avons pu accueillir l’homme en question pour la nuit. Vouloir faire ce qu’il y avait à faire permettait à l’équipe de faire passer les besoins de la population en premier. Les trois exemples ci-dessus montrent la complexité des conditions de vie des gens.
Comme le dit le proverbe : « aux grands maux, les grands moyens ». La COVID-19 nous a donné l’occasion de sortir des sentiers battus. Comme nous nous efforcions de nous montrer souples et de répondre aux besoins des gens, nous avions le privilège de tenter des démarches audacieuses et différentes pour y parvenir. Tout le monde avait un rôle à jouer, et tous nos partenaires ont affronté la tempête. Nous sommes fiers de l’initiative prise. Nous avons eu le plaisir de rencontrer des gens mémorables et d’avoir noué des relations de confiance avec eux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre organisation.
Leçons retenues :
Les acteurs de la santé publique peuvent répondre aux besoins de la population en s’assurant par exemple de :
Prendre le temps de comprendre les besoins en étant à l’écoute des commentaires des gens et en établissant des relations de réciprocité avec les organismes communautaires. |
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Se montrer souples dans leur démarche, en explorant par exemple des voies différentes et novatrices. |
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Faire preuve d’humilité et de respect devant le savoir-faire de leurs partenaires. |
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Porter attention au personnel des programmes. Lorsque le personnel reçoit le soutien de la haute direction, il peut mieux à son tour soutenir la population. |
Contexte :
Communiqué de presse : Toronto’s COVID-19 voluntary isolation centre officially opens (en anglais)
Pour en savoir plus au sujet de la démarche décrite dans le présent récit, adressez-vous au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé au [email protected]