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Imaginez 2048 : Une réflexion sur l’avenir du domaine de la promotion de la santé
Le présent blogue est tiré d’une présentation faite lors d’une séance sur l’avenir de la promotion de la santé à laquelle j’ai participé comme animatrice dans le cadre de Santé publique 2018. La conférence avait lieu sur les terres qui font partie du territoire traditionnel non cédé des Kanien’keha:ka (Mohawks). Je vis et je travaille à Toronto, qui se situe sur le territoire traditionnel des Wendats, des Anishinabés, des Haudenosaunees, des Métis et des Mississaugas de la Première Nation New Credit. J’ai quitté le Cameroun pour m’y installer comme étudiante internationale il y a 17 ans.
Imaginez le monde en 2048. Que voyez-vous? J’imagine un monde où une plus grande partie des gens peuvent profiter de la beauté et de la richesse qu’offre la planète, en étant à l’abri de ses inconvénients. Cela fait penser à ce qu’Arundhati Roy imagine comme « autre monde [1] ».
À propos de cet « autre monde », il y a trois principes qui joueront un rôle clé dans le domaine de la promotion de la santé.
- Nous aurons pleinement accepté la vision plus large du concept de santé comme nous avons l’objectif de le faire dans nos documents de fond, c’est-à-dire une vision qui tient compte des dimensions sociales, économiques, spirituelles, planétaires et politiques du mieux-être. Un tel schème de pensée amène à voir le mieux-être et la qualité de vie d’une manière plus globale –ce qui reflète une façon dont la plupart d’entre nous font l’expérience de la vie en communauté et individuellement. Il valorise les bienfaits du mieux-être social et fait évoluer la promotion de la santé au point de créer des collectivités où nous pouvons prospérer, pas seulement survivre. Par exemple, au lieu de mettre l’accent sur la réduction de la pauvreté, nous pouvons lutter pour un revenu suffisant qui permettra à tout le monde de participer à tous les aspects de la vie sociale, culturelle et politique.
L’équipe du Wellesley Institute (en anglais) a récemment calculé qu’une personne célibataire à Toronto devait gagner au moins 45 000 $ après impôt pour bien vivre [2]. Ce montant tient compte du logement, du transport, de la dette, des économies, du perfectionnement professionnel et de la vie sociale, comme les restaurants, les sports et autres activités culturelles. À 14 $ l’heure, le salaire minimum en Ontario correspond à la moitié de ce montant (environ 24 000 $). Le salaire minimum vital (19 $ l’heure pour un revenu annuel 39 000 $ [3]) est loin du compte aussi.
- Nous dirigerons en adoptant l’équité et la justice sociale comme valeur fondamentale. Cela exigera un plus grand accent sur les mesures qui influent sur la répartition du pouvoir et des ressources tant sur le plan matériel que symbolique. Cela compliquera du même coup notre analyse et nos interventions. Dans un « autre monde », par exemple, la solution pour éliminer les iniquités racialisées de la santé sera de créer plus d’occasions pour les Autochtones et les personnes racialisées du Canada – et, évidemment, du monde – de pleinement participer à la société comme personne humaine à part entière.
Selon le Forum économique mondial [4], le Canada a atteint la parité des genres en santé et en éducation, mais a encore un long chemin à parcourir sur les plans économiques et politiques. Cette analyse cache le fait que les résultats de santé chez les femmes à faible revenu et racialisées demeurent un sujet de préoccupation, et les iniquités se révèlent plus profondes dans les sphères politiques et économiques. Songez que, sous l’effet des pratiques et des politiques coloniales, y compris le racisme systémique persistant, les femmes autochtones sont généralement en moins bonne santé que les femmes blanches. De même manière, l’écart salarial entre les genres est de 47 cents pour chaque dollar [5].
- Nous renforcerons le « nous », la communauté de gens qui ont à cœur de créer un « autre monde ». Pour transformer notre monde de manière durable, nous devons réformer en profondeur les normes sociales et presser les secteurs public et privé de faire en sorte qu’un plus grand nombre d’entre nous puisse prospérer.
Selon l’équipe de l’Institut Broadbent [6], plus de quatre Canadiens sur cinq pensent que l’inégalité du revenu est un sujet de préoccupation. La population canadienne souhaite que nos gouvernements investissent dans un programme de garderie national et un programme d’assurances-médicaments national, améliorent le revenu et changent les politiques fiscales. Aux élections provinciales en Ontario en 2018, le logement était un sujet de grande préoccupation pour les jeunes. Pour agir sur ces questions sur un plan institutionnel et durable, nous devrons d’ici 2048 avoir créé un discours solide pour soutenir des vagues de changements qui incluront la promotion de la santé et qui ne surviendront pas uniquement en réaction à des préoccupations de santé. Ce discours démolit les inégalités croissantes, les mythes de rareté et la montée du nationalisme ethnique, perçue en Amérique du Nord comme une résurgence de nationalisme blanc explicite. Ce discours expliquerait le fait que la majorité de nos décisions sont prises de manière inconsciente et que le mieux-être est une préoccupation de toutes les allégeances politiques [7]. Notre nouveau discours, celui d’un plus fort nous, sera ancré dans la justice et les possibilités pour tout le monde. Ce discours transitoire exige d’écouter (même quand nous n’aimons pas ce que nous entendons), de participer, d’organiser et de mener avec amour [8].
Dans notre quête d’un monde plus juste et plus durable, impossible de prendre un raccourci. L’engagement envers la promotion de la santé exige de s’engager à réaliser une véritable transformation.
Comme le souligne Arundhati Roy :
Notre stratégie ne devrait pas seulement être de confronter l’empire, mais à l’assiéger. À lui couper son oxygène. À le décrier. À le moquer. Avec notre art, notre musique, notre littérature, notre entêtement, notre joie, notre intelligence, notre acharnement – et notre aptitude à raconter nos propres histoires. Des histoires qui diffèrent de celles que l’on nous a martelées constamment. … Un autre monde n’est pas seulement possible, il arrive à grands pas. Les jours paisibles, je l’entends respirer [1].
Photo : Robert Collins
Références bibliographique
[1] Roy, A. (2003). War Talk. New York (NY) : South End Press.
[2] Kumar, N., K. McKenzie, et U. Seong-gee. (2017). Thriving in the City: what does it cost to live a healthy life? Toronto (Ont.) : Wellesley Institute. http://www.wellesleyinstitute.com/publications/thriving-in-the-city-what-does-it-cost/ (en anglais)
[3] Tiessen, K. (2015). Making Ends Meet: Toronto’s Living Wage. Ottawa (Ont.) : Centre canadien de politiques alternatives.
[4] Forum économique mondial. (2017). The Global Gender Gap Report 2017. Geneva: World Economic Forum. http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2017.pdf (en anglais; pour un résumé en français, voir : https://www.weforum.org/fr/agenda/2017/11/qu-est-ce-que-l-ecart-entre-les-genres-et-pourquoi-se-creuse-t-il/)
[5] Block, S. (2010). Ontario’s growing gap: the role of race and gender. Ottawa (Ont.) : Centre canadien de politiques alternatives.
[6] Penner, B., M. Smith, D. Hoffman, et A. Cousineau. (2017). Progress in the age of Trump: Polling Presentation for the Broadbent Institute. Ottawa (Ont.) : Institut Broadbent. http://www.broadbentinstitute.ca/progress_in_the_age_of_trump (en anglais)
[7] Haidt, J. (2012). The righteous mind: Why good people are divided by politics and religion. New York (NY) : Pantheon Books.
[8] Powell, J. (Mai 2018). Special Round-Table Conversation with john powell. Toronto (Ont.) : Colour of Poverty - Colour of Change et Laidlaw Foundation.