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Le pouvoir des gens et des systèmes – un entretien avec Benita Cohen, Ph. D.

Le pouvoir des gens et des systèmes – un entretien avec Benita Cohen, Ph. D.

Par Sur - Le 19 novembre, 2013

Nous tiendrons le 3 décembre prochain un webinaire interactif au sujet des gens et des systèmes qui soutiennent les démarches axées sur l’équité dans la pratique de santé publique.

Aidez-nous à créer le contenu de ce webinaire de style « entretien avec des célébrités ». 

  1. Réfléchissez à la question posée chaque semaine par Hannah Moffatt pendant que vous lisez un extrait du document La santé publique a la parole : les normes organisationnelles, une pratique prometteuse pour faire avancer l’équité en santé.
  2. Joignez-vous à nous pour la conversation virtuelle qui se déroulera du 26 novembre au 3 décembre prochains dans Cliquez pour l’équité en santé : communauté.

Réfléchissez aux questions suivantes en lisant l’extrait ci-dessous :

                        Comment le Cadre conceptuel centré sur la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir sur l’équité en santé peut-il améliorer notre compréhension de ce qu’on entend par leadership efficace en santé publique?


La santé publique a la parole : élaboration d’un cadre conceptuel centré sur la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir sur l’équité en santé. Entretien avec Benita Cohen, IA, Ph. D., professeure agrégée, Faculté des sciences infirmières, Université du Manitoba.

Hannah Moffatt, spécialiste du transfert des connaissances au Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé (CCNDS), s’est entretenue le 29 septembre 2012 avec Benita Cohen, Ph. D., professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université du Manitoba. Cette dernière a parlé du projet de recherche interdisciplinaire visant à élaborer un cadre conceptuel relatif à la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir en matière d’équité en santé [Organizational Capacity for Public Health Equity Action (OC-PHEA)]. Si le projet de recherche ne portait pas explicitement sur des normes organisationnelles, il revêtait un intérêt certain comme un modèle d’outil favorisant le renforcement de la capacité de la santé publique.

En fait, l’outil peut servir à animer des discussions et à faciliter des activités de planification, tant dans des organismes de santé publique que de d’autres secteurs, en vue de soutenir les stratégies d’intervention favorables à l’équité en santé. Le projet s’inscrit dans le cadre du programme de recherche général de madame Cohen. Ce programme porte sur le renforcement de la capacité de la santé publique de prendre des mesures à l’égard des iniquités et d’atténuer ces iniquités, à l’aide d’une perspective fondée sur le renforcement de la capacité de la santé publique de prendre des mesures à l’égard des iniquités et d’atténuer ces iniquités, à l’aide d’une perspective fondée sur la justice sociale.

 

Hannah Moffatt : Pourriez-vous nous expliquer la conceptualisation du projet de recherche sur la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir sur l’équité en santé (Organizational Capacity for Public Health Equity Action)?

Benita Cohen : C’est mon expérience comme infirmière en santé publique qui m’a menée à effectuer cette recherche, sans compter que toute l’équipe de recherche partage une passion pour l’atténuation de l’injustice sociale et des iniquités en santé. Le rapport final publié en 2008 par la Commission des déterminants de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé et intitulé Combler le fossé en une génération m’a également influencée dans ma démarche. Dans l’une des principales conclusions du rapport, on expliquait que l’interruption de la prolifération des iniquités en santé – entre pays et au sein même des pays – se révélait à la fois un impératif éthique et une question de justice sociale. Ces mots ont touché mes cordes sensibles. La parution du rapport a entrainé une prise de conscience générale de l’importance d’atténuer l’accentuation des iniquités et, par le fait même, du rôle éventuel que peut jouer la santé publique pour poser des gestes propices à faire avancer l’équité en santé. On a également déployé beaucoup d’efforts en santé publique pour mettre en oeuvre des interventions efficaces afin de soutenir le travail des professionnels à cet effet. Cependant, les données probantes, comme celles recueillies dans le cadre de l’analyse du contexte réalisée par le CCNDS en 2010, laissent entendre que la capacité des organismes de santé publique d’agir favorablement sur l’équité en santé varie considérablement d’un océan à l’autre au Canada.

Il a quelques années, j’ai formé une équipe interdisciplinaire de chercheurs universitaires partageant le même intérêt pour la revendication de la justice sociale et de l’équité. Ce sont ces chercheurs qui composent l’équipe du projet de recherche sur la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir sur l’équité en santé [Organizational Capacity for Public Health Equity Action (OC-PHEA)]. Pour compléter notre équipe, nous avons aussi fait appel à des collaborateurs qui oeuvrent en dehors du milieu universitaire, mais qui ont les mêmes intérêts. Nous avons pu obtenir une « subvention catalyseur : équité en matière de santé » des Instituts de recherche en santé du Canada. Notre premier objectif consistait à élaborer un cadre conceptuel afin de bien asseoir nos travaux autour du projet OC-PHEA, ce qui pouvait ultimement éclairer les projets de recherche sur le renforcement des capacités. Une revue documentaire a fait ressortir un certain nombre de cadres conceptuels centrés sur la capacité organisationnelle. Cependant, aucun ne se rattachait directement à une action exercée sur l’équité, et encore moins au contexte canadien. C’est pourquoi, à la lumière de notre revue documentaire et de notre connaissance du système de santé publique, nous avons décidé d’élaborer un cadre fondé sur l’expérience de champions de l’équité en santé au sein du secteur de la santé publique au Canada.

 

Hannah Moffatt : Comment avez-vous identifié ces champions de l’équité en santé et quel rôle ont-ils joué dans le projet?

Benita Cohen : Nous avons identifié et interrogé dix personnes très réputées pour porter haut le flambeau de l’équité dans le milieu de la santé publique. Nous avons également demandé à ces personnes si elles en connaissaient d’autres dans leurs réseaux qui agissaient comme champions de l’équité en santé. En tout, nous avons mené des entretiens avec 16 champions (dont des membres de la haute direction de la santé publique, de même que des professionnels et des gestionnaires de programmes de santé publique) de partout au Canada. Nous nous sommes appuyés sur l’information recueillie, ainsi que sur les principaux thèmes ressortis lors de notre revue documentaire, pour élaborer une première version du cadre conceptuel. Nous avons ensuite invité les champions à commenter cette première version afin de nous assurer que celle-ci tenait bien compte des observations formulées lors des entretiens. Nous leur avons ensuite demandé de formuler des suggestions pour améliorer le cadre.

 

Hannah Moffatt : Quels grands constats avez-vous faits à la suite du processus d’entrevue et quelles ont été les surprises?

Benita Cohen : Nous avons demandé aux champions de l’équité en santé de décrire leur cadre de travail. Ils ont défini les facteurs freinant et facilitant leur travail dans le domaine de l’équité en santé. Les freins et les moteurs se sont révélés particulièrement pertinents pour l’élaboration du cadre conceptuel et sont inclus dans les principales conclusions de notre recherche qualitative. Par exemple, bon nombre des participants ont parlé des multiples dimensions de la capacité organisationnelle requise pour travailler dans le sens de l’équité en santé. La documentation confirme cette observation. Les facteurs qui influencent la capacité organisationnelle sont d’après eux la motivation et l’engagement par rapport à l’action, l’exercice d’un leadership, l’accès aux connaissances et à la formation afin de renforcer les compétences, ainsi que l’attitude des professionnels. Nous avons également retenu l’importance d’avoir en place une infrastructure adéquate, y compris un accès aux ressources et des politiques et des processus favorables. De nombreux participants ont également parlé du rôle vital que jouent les partenariats, les liens de collaboration et les réseaux entre des organismes de santé et entre des organismes de santé et des organismes d’autres secteurs gouvernementaux qui ont tous pour but d’exercer une influence positive sur les déterminants sociaux et même structuraux de la santé et les iniquités en santé.

Ce qui m’a frappée le plus dans les propos des champions est la complexité de ces facteurs, qu’ils soient internes ou externes à leur organisation. Les complexités créent un cadre organisationnel particulier qui, du coup, détermine comment se développeront la capacité et les dimensions de cette capacité. Par exemple, le tiraillement entre les priorités organisationnelles, la surcharge des rôles, la place dominante des soins de courte durée dans les programmes gouvernementaux et le manque d’outils de mesure facilement accessibles peuvent limiter la capacité organisationnelle d’agir sur l’équité en santé. Par contre, l’élément favorable ressorti de notre analyse se rattache à la grande influence des champions de l’équité, surtout ceux occupant un poste de haute direction ou de gouvernance. Les champions de l’équité, soit ceux qui ont de la crédibilité, du respect et un dévouement inspirant pour les autres et qui font constamment valoir l’importance de faire de l’équité en santé une priorité, sont très bien placés pour influencer la manière dont seront déterminés et comblés les besoins en matière de capacité organisationnelle. Voilà quelques-uns des principaux constats ayant orienté l’élaboration du cadre conceptuel.

 

Hannah Moffatt : À la lumière de ce processus, pourriez-vous expliquer à quoi ressemble le cadre conceptuel et comment il s’inscrit dans le contexte des organismes?

Benita Cohen : Nous avons en fait un diagramme qui montre les diverses composantes du cadre conceptuel et le lien entre chacune d’elles. Essentiellement, la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir sur l’équité en santé se divise en deux grands domaines dans le cadre conceptuel : 1) le contexte interne (c.-à-d. les dimensions organisationnelles qui déterminent la capacité de prendre des mesures en matière d’équité en santé) et 2) l’environnement externe favorable (c.-à-d. les dimensions de la collectivité locale et des systèmes dans leur ensemble qui déterminent la capacité d’agir du secteur de la santé publique). Des dimensions semblables caractérisent tant les domaines internes qu’externes. Elles sont au nombre de trois, soit 1) les croyances et valeurs communes; 2) un dévouement et une volonté d’agir manifestes et 3) une infrastructure favorable. Pour chacun des deux grands domaines, c’est-à-dire le contexte interne et l’environnement externe, nous avons défini une première série d’éléments clés qui pourraient ultimement servir d’indicateurs de la capacité.

Pour préciser, le cadre conceptuel OC-PHEA permet d’entrevoir qu’une action associée à l’équité exige une capacité interne qui se déploie en trois volets : 1) l’expression au palier organisationnel d’une conviction manifeste que la promotion de l’équité en santé est une priorité; 2) un engagement envers une action centrée sur l’équité inscrit dans les plans stratégiques et 3) la dotation en structures et en ressources nécessaires pour faciliter l’action en matière d’équité, comme la présence de champions à tous les échelons de l’organisation. Les éléments se rapportant à l’infrastructure organisationnelle sont les facteurs comme l’accès et l’habileté à interpréter les données locales concernant les iniquités, les qualités revendicatrices de la main-d’oeuvre et les processus faisant en sorte que l’engagement collectif influence le processus décisionnel organisationnel. L’action en matière d’équité exige en outre une capacité semblable dans l’environnement externe. Par exemple, si vous songiez au domaine lié à l’infrastructure externe ou collective, vous y incluriez des personnes oeuvrant en dehors de la santé publique et qui ont accès aux décideurs et aux ressources nécessaires pour agir sur l’équité dans tous les champs de compétence.

Le cadre repose sur une importante hypothèse fondamentale selon laquelle il faut une harmonisation et des liens étroits (p. ex. des coalitions) entre les domaines interne et externe pour pouvoir travailler dans le sens de l’équité en santé. Autrement dit, la capacité optimale apparaitra si les deux domaines – interne et externe – sont solides et adéquatement soutenus. Dans la réalité cependant, nous savons qu’il y a divers degrés de capacité au sein des organisations à divers moments dans le temps. Aussi, même en l’absence d’une capacité optimale, une organisation a quand même le pouvoir d’agir efficacement pour atténuer les iniquités en santé. Nous pensons que c’est très important – tout le monde peut apporter sa contribution.

 

Hannah Moffatt : À votre avis, comment serait-il possible d’appliquer ce cadre conceptuel dans le quotidien des organismes de santé publique pour aider à bâtir la capacité organisationnelle d’agir sur l’équité en santé?

Benita Cohen : De manière très générale, nous espérons que le cadre conceptuel servira de ressource aux professionnels et aux organismes de santé publique. Le cadre peut servir d’outil de réflexion et permettre d’amorcer un dialogue sur les facteurs freinant ou facilitant l’action en matière d’équité en santé. Les organismes de santé publique pourraient s’appuyer sur les concepts présentés pour créer leurs propres indicateurs de capacité ou pour définir les indicateurs susceptibles de servir à mesurer ou à surveiller la capacité dans le temps. Le cadre peut certainement servir d’outil de discussion et de planification.

Le cadre peut également être utile comme plateforme pour inciter des chefs de file de la santé publique ou d’autres secteurs qui cherchent à institutionnaliser leurs pratiques en matière d’équité en santé. Cela pourrait faire avancer le discours sur la question de l’équité en santé et l’intégration (ou l’incorporation) de la justice sociale dans la pratique de santé publique. Nous nous attendons, à mesure que le cadre sera appliqué à des activités concrètes, que les commentaires des utilisateurs contribueront à le peaufiner de manière à faciliter son application pratique. Nous espérons que le processus d’élaboration restera itératif. Nous ne présentons pas le cadre comme une panacée, mais simplement comme un point de départ. Nous voudrions ultimement obtenir d’autres fonds qui nous permettraient de définir une série d’indicateurs précis, puis d’utiliser ces indicateurs pour surveiller dans le temps les changements dans la capacité organisationnelle d’agir sur l’équité en santé. Comme équipe, nous espérons inciter les bureaux de santé publique aux échelons local et régional à collaborer avec nous à partir de maintenant.

 

Hannah Moffatt : Quels conseils donneriez-vous aux professionnels ou aux responsables des organismes intéressés à renforcer leur capacité d’agir sur les questions d’équité en santé?

Benita Cohen : Le principal conseil que j’aurais à donner se rapporte à l’importance de considérer les iniquités en santé comme une question de rendement des systèmes pris dans leur ensemble. Il ne peut s’agir d’une responsabilité relevant d’un seul groupe ou simplement d’un facteur de plus dans une longue liste de priorités en santé publique. L’équité en santé exige sa propre stratégie, son propre plan d’évaluation, notamment pour l’évaluation de la capacité d’agir en ce moment, et un plan durable afin d’assurer une action continue et des effets à long terme.

Dans la documentation scientifique, on décrit l’évaluation de la capacité organisationnelle comme étant la première étape à franchir quand on veut intervenir positivement. Le cadre conceptuel centré sur la capacité organisationnelle de la santé publique d’agir sur l’équité en santé se veut un outil pour aider les organisations à réaliser ce type d’évaluation. Tous, dans l’équipe de recherche, nous encourageons les professionnels à utiliser ce cadre et à l’adapter à leurs propres besoins. Nous nous attendons à ce qu’il se révèle un outil efficace pour les professionnels qui poursuivent leurs efforts pour faire progresser l’équité en santé.

 

Hannah Moffatt : Je vous remercie beaucoup, madame Cohen, d’avoir bien voulu nous faire part aujourd’hui de vos réflexions et de vos travaux de recherche. Je vous souhaite une bonne continuité dans cette excellente initiative visant à renforcer la capacité d’action de la santé publique en matière d’équité en santé.

Le compte rendu de chacun de ces entretiens se trouvent dans le document La santé publique a la parole : les normes organisationnelles, une pratique prometteuse pour faire avancer l’équité en santé.

Joignez-vous à nous dès mardi prochain pour la conversation virtuelle qui durera du 26 novembre au 3 décembre dans « Cliquez pour l’équité en santé : communauté ». Vous aurez l’occasion de nous aider à créer le webinaire du 3 décembre.

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