Qu’est-ce qu’une femme blanche comme moi peut bien avoir à dire sur le racisme dans les partenariats?
Isabelle Wallace, IA, et Dianne Oickle, auteure et spécialiste du transfert des connaissances, CCNDS; coanimatrices de l’atelier « Partenariats pour l’équité raciale en santé », présenté au congrès 2019 de l’Association des infirmières et infirmiers en santé communautaire du Canada de Saint John (Nouveau-Brunswick).
Il est crucial que les personnes blanches participent activement à la lutte contre le racisme. Nous devons faire l’effort de nous renseigner et cesser de nous mettre la tête dans le sable. Nous sommes responsables de veiller à ce que les discussions sur le sujet aient lieu. Cela dit, n’oublions pas que nous ne pouvons pas – et ne devrions pas – nous exprimer au nom des personnes racisées. Notre rôle est plutôt d’utiliser notre privilège pour attirer l’attention sur les répercussions structurelles du racisme en santé et sur l’importance de lutter contre ce problème.
Atelier sur les partenariats pour l’équité raciale en santé
En mai 2019, j’ai eu la chance d’animer un atelier sur les partenariats pour l’équité raciale en santé au congrès annuel de l’Association des infirmières et infirmiers en santé communautaire du Canada. La présentation s’inspirait des apprentissages que l’équipe du CCNDS et moi-même avons tirés de nos travaux en vue de devenir une organisation antiraciste. Pour ce qui était du contenu, je savais que je pouvais me tourner vers les ressources du Centre, comme Le racisme et l’équité en santé : Parlons-en, la liste de lectures essentielles pour lutter contre le racisme et les présentations antérieures de mes collègues [1, 2].
Mais au-delà du contenu des diapositives, je tenais absolument à coanimer les discussions avec une personne racisée. Je suis tout à fait en mesure de parler du concept de racisme et de son incidence sur la santé des personnes et de la population, mais j’ignore ce que ça fait d’en être la cible. Or, cette expérience est essentielle pour qu’on puisse saisir toute la portée des iniquités raciales.
Je voulais aussi consulter mes collègues (racisés ou non) qui avaient déjà animé des discussions sur le racisme, tous secteurs confondus. Je me suis servie de ces interactions pour définir la place que je devais prendre dans l’atelier, anticiper les questions et me préparer aux difficultés qui auraient pu se présenter au cours de la séance.
Ce processus aussi surprenant qu’enrichissant m’a permis d’approfondir mes réflexions et d’évoluer sur le plan personnel.
Blanc par défaut
Je me suis rendu compte que nous vivons dans un monde très « blanc » (en anglais). Isabelle Wallace, l’infirmière autorisée autochtone avec qui j’ai conçu et animé l’atelier, parle de nos systèmes en ces mots :
Nous sommes tous tributaires du système dans lequel nous évoluons. Nous avons tous été éduqués dans les mêmes systèmes, mais la façon dont ils sont structurés profite à certains et nuit à d’autres. Les personnes qui aspirent à faire bouger les choses n’ont donc d’autre choix que d’agir à l’intérieur des balises d’un système colonialiste dont elles font partie. |
Ses propos m’ont rappelé un débat télévisé sur la rectitude politique diffusé l’année dernière, dans lequel Michael Eric Dyson (Ph. D.) expliquait que « si les dés sont pipés en notre faveur dès notre naissance, c’est difficile de reconnaître le subterfuge ».
Pour ma part, j’ai fini par comprendre que bon nombre de systèmes sociétaux avantagent les personnes blanches, et ce, depuis des générations (p. ex., éducation, santé publique, santé). Résultat : les personnes blanches, moi y compris, profitent du racisme ambiant au détriment des personnes racisées. En arriver à une telle conclusion n’est certainement pas confortable.
Redéfinir la notion de « suprémacisme blanc »
J’ai également réalisé l’urgence de renoncer à l’idée selon laquelle le cadre conceptuel de « suprémacisme blanc » ne s’appliquerait qu’à des groupes extrémistes qui s’attaquent délibérément aux personnes racisées [3]. En effet, le problème est beaucoup plus vaste.
Le suprémacisme blanc repose sur l’idée que les pratiques des personnes blanches sont forcément les meilleures [3]. Mais les personnes blanches ont beau jouir de ce privilège, le carrefour entre privilège et oppression est caractérisé par des chevauchements complexes.
Les personnes blanches qui vivent des iniquités sont parfois peu enclines à reconnaître que la couleur de leur peau leur confère un privilège. Une personne vivant dans la pauvreté, par exemple, peut avoir tendance à résister à cette idée, car elle ne se sent aucunement privilégiée. Or, ce n’est pas qu’une question de revenu; les personnes blanches, par exemple, ne craignent pas de se faire interpeller par la police quand elles se promènent tout bonnement dans leur quartier. Une personne blanche et défavorisée peut être avantagée par des suppositions positives (souvent inconscientes) concernant ses habiletés, ses connaissances et ses compétences.
Blancheur et réseautage
J’ai réalisé que les idées préconçues que l’on se fait à propos des gens qui nous entourent sont influencées par le concept de blancheur, et qu’à leur tour elles influencent notre attitude et nos choix relationnels. Autrement dit, notre comportement dans le cadre de partenariats peut perpétuer les stéréotypes raciaux et le racisme.
En santé publique, cette problématique aura une incidence sur la diversité des personnes représentées dans les partenariats ainsi que sur la nature des expériences et des points de vue exprimés. Qui oriente les travaux? Qui en applique les résultats?
Application de ces notions dans l’atelier sur les partenariats pour l’équité raciale en santé
Durant l’atelier, nous avons fait un exercice visant à « faire de la place ». Nous avons invité les personnes participantes à songer à un partenariat pour lequel elles travaillent ou qu’elles aimeraient mettre sur pied, puis à dresser une liste des pires pratiques imaginables.
Voici quelques-unes des idées lancées :
- ignorer les différences;
- refuser de reconnaître les déséquilibres de pouvoir;
- omettre de réfléchir aux facteurs qui pourraient empêcher les gens de s’exprimer librement;
- porter des jugements hâtifs sur les gens;
- demander à des gens qu’on ne connaît pas du tout de former un partenariat avec nous et s’attendre à ce qu’ils acceptent.
Isabelle Wallace et moi avons ensuite demandé aux membres du groupe de se demander si ce sont des choses qu’elles font au travail. À la surprise générale, beaucoup de participants se sont rendu compte que leurs pratiques actuelles créaient un climat qu’on sait propice à l’exclusion de certaines personnes ou pouvant nuire à l’inclusion dans les partenariats de personnes issues de communautés racisées.
Le temps consacré à l’autoréflexion durant l’atelier s’est avéré précieux pour tout le monde. L’exercice a d’ailleurs renforcé ma détermination à mieux comprendre la notion de suprémacisme blanc, ce que ça implique d’être blanc et l’incidence du racisme sur la formation des partenariats et les moyens de garantir leur pérennité.
Établir des partenariats équitables
Dans un système qui exclut les personnes racisées et trivialise les savoirs ancrés dans les cultures non blanches, il est essentiel de réfléchir au rôle qu’on joue face à la perpétuation du racisme et des structures qui s’en imprègnent.
La préparation de l’atelier m’a permis de dégager quelques idées pour bâtir des partenariats équitables et exempts de racisme dans le domaine de la santé publique :
- Veiller à ce que, dès le départ, les projets collaboratifs favorisent l’inclusion de personnes racisées, et à ce qu’elles aient l’occasion de participer à la définition des priorités et des orientations ainsi qu’à la prise de décisions [4].
- Définir les groupes racisés touchés par les différents enjeux relatifs à l’équité en santé et tâcher de mobiliser des gens qui ont un véritable lien d’appartenance avec ces groupes pour s’attaquer au problème [4].
- Avoir recours à l’analyse des parties prenantes pour déterminer qui aller chercher pour garantir une représentation juste et équitable dans le cadre de tout projet collaboratif [4].
- Bâtir des partenariats avec les communautés culturelles racisées en leur exposant l’objectif du projet et son importance pour vous en toute franchise [5].
- Se préparer à laisser de côté un certain nombre de tâches ou de buts prédéfinis pour investir plus d’énergie dans l’établissement de relations et non dans l’atteinte de résultats [5].
Un apprentissage continu
À la fin de la séance, l’une des personnes participantes m’a remerciée d’avoir souligné que j’étais blanche. Elle avait tenu pour acquis que j’étais autochtone, sachant que ma coanimatrice l’était. Elle est revenue sur le contenu de l’atelier en disant : « Je vois mieux comment je peux faire partie de la solution, maintenant. Le fait de voir une personne blanche animer ce genre de discussions, ça me permet de voir que je pourrais le faire aussi. »
Cette séance m’a appris que moi aussi, je pouvais parler des conséquences du racisme sur la santé et sur les partenariats. Je peux être proactive et prendre la parole pour le dénoncer. Je peux évaluer l’incidence de mes propres préjugés sur ma vision des partenariats. Je peux parler de racisme avec mes amis, mes proches et mes collègues blancs. Et, enfin, je dois chercher à établir des relations avec des personnes racisées, tant dans ma vie personnelle qu’au travail.
Les professionnels de la santé publique doivent s’exprimer haut et fort sur les conséquences du racisme et aborder de front ces enjeux on ne peut plus délicats si l’on veut que les choses changent dans la pratique et dans la manière dont nous approchons nos partenaires potentiels.
Références bibliographiques
[1] Ndumbe-Eyoh, S., J. Dawson, et N. Yanful. « Partnerships for racial equity », atelier présenté au Congrès de santé publique de l’Ontario, Toronto (Ontario), 27 au 29 mars 2019.
[2] Ndumbe-Eyoh, S. « Partnerships for racial equity », atelier présenté à la conférence Santé publique 2019, Ottawa (Ontario), 20 avril au 2 mai 2019.
[3] Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé. Le racisme et l’équité en santé : Parlons-en (éd. rév.), Antigonish (Nouvelle-Écosse), CCNDS, Université St. Francis Xavier University, 2017, 8 p. http://nccdh.ca/fr/resources/entry/lets-talk-racism-and-health-equity [consulté le 24 juillet 2019]
[4] Fondation Annie E. Casey. Race equity and inclusion action guide, Baltimore (Maryland), Fondation Annie E. Casey, 2014, 16 p. https://www.aecf.org/resources/race-equity-and-inclusion-action-guide/ [consulté le 24 juillet 2019]
[5] Pax Christi Anti-Racism Team, Building accountable relationships with communities of color: some lessons learned, Washington (district de Colombia), Pax Christi USA, 2015, 8 p. https://paxchristiusa1.files.wordpress.com/2011/01/buildingaccountablerelationships.pdf [consulté le 24 juillet 2019]
Balises
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