Ne faites pas attention à l’homme derrière le rideau
Ce blogue fait partie d’une série qui sera publiée tout au long de 2017. Chaque texte contiendra le compte rendu d’un travail d'introspection d’un membre du personnel. La série porte sur la tendance des personnes blanches à garder le silence dans une conversation sur le racisme.
Il y a un peu plus de deux ans, j’ai participé à une séance d’équipe sur le racisme et l’intersectionalité. La séance était animée par deux collègues. Nous étions dix dans notre équipe : trois femmes de couleur et sept femmes blanches. Parmi les activités de la journée, nous allions explorer le racisme dans le contexte canadien et créer une atmosphère propice à l’apprentissage et au désapprentissage de façon intensive. Aucune bonne intention ni les plus grands efforts ne pourraient excuser les pratiques oppressives et racistes. J’ai tout de suite eu peur de découvrir chez moi des côtés qui ne me plairaient pas si je faisais une introspection. Ou pire, d’en découvrir dont j’aurais honte. Et pire encore, que d’autres personnes dans la pièce puissent découvrir ces mêmes facettes chez moi aussi. Je me rappelle avoir posé beaucoup de questions. Je ne voulais pas parler de peur de ne pas dire les bonnes choses ou de me faire juger. J’avais le sentiment d’avoir souvent formulé les mauvais commentaires. Cette séance m’a épuisée.
Il y a eu plusieurs Journées d’équipe au cours des deux dernières années. Il y a environ six mois, le programme d’une de ces journées a changé en réponse à une expérience vécue dans notre équipe. Le thème a porté pour cette raison exclusivement sur le racisme. Pas seulement le racisme systémique, pas seulement le racisme patent, mais aussi le racisme palpable dans notre organisme, dans notre subconscient – mon subconscient – qui agit au quotidien. Quand j’ai appris l’objet des rencontres, je me suis sentie coupable de ne pas avoir profité des deux dernières années pour lire et examiner davantage, changer ma façon de voir les choses et consacrer plus de temps à faire de cet enjeu une priorité.
J’ai abordé la séance de discussion sans savoir quoi dire ni quoi faire. Après tout, je suis Blanche. Et il y avait des personnes racialisées dans la pièce. Avec du recul, je me rends compte que mon malaise provient du fait que les personnes blanches ne parlent pas de racisme avec d’autres personnes blanches. Et certainement pas suivant la fréquence, la profondeur et l’imputabilité avec lesquelles nous devrions en discuter. Je savais qu’il y avait du racisme. Je savais que ce n’était pas juste. Cependant, je ne savais pas quoi dire ni quoi faire sans dire ou faire les mauvaises choses. J’espère ne pas passer pour une raciste. En tout cas, c’est ce que je me répétais à chaque instant. Alors, je n’ai pas dit un mot. J’ai agi comme si parler de racisme envenimait la situation, et comme si le silence ne faisait de mal à personne. Je faisais passer le racisme comme une circonstance qui n’exerçait aucune influence sur ma vie et pour laquelle je n’avais pas de compte à rendre.
Au cours de ces Journées d’équipe, j’ai appris que c’est tout le contraire. Parler du racisme permet de sortir le chat du sac et de cerner le problème. Garder le silence perpétue le statu quo. Prendre part à la discussion sur le racisme, c’est désapprendre le réflexe de garder le silence. C’est aussi désapprendre que le fait d’être mal à l’aise signifie arrêter de parler. Y prendre part veut dire accepter la responsabilité d’analyser – et sans doute aussi de changer – ses schèmes de pensée, ses perspectives, son comportement et ses réactions. Récemment, on m’a mentionné « qu’il ne s’agissait pas de ne jamais faire d’erreurs, mais des gestes que l’on accomplit après avoir fait l’erreur ». Ce qui est motivant, c’est l’espoir que l’on accorde au changement. Cela me donne un objectif à atteindre. Il retire de l’équation une portion du je ne sais pas quoi faire.
J’essaie d’exprimer à voix haute ce que je garderais normalement pour moi, à l’abri d’un examen plus minutieux. C’est difficile et pétrifiant. Parfois, j’entends des commentaires dans la réponse qui me fait me questionner sur moi-même et sur ce que je pensais que je savais à propos du monde qui m’entoure. La semaine dernière par exemple je lisais un article sur le système des pensionnats au Canada. J’en suis venue à réfléchir aux traités autochtones et à la « propriété » des terres. C’est certain qu’il était immoral de forcer des gens à quitter le territoire auquel ils étaient si attachés. C’est certain que nous devrions essayer de corriger la situation. Mais un instant – est-ce que ça implique de devoir dire adieu à ma maison? Ensuite, je me suis dit : un instant – si c’est la limite que je ne veux pas dépasser dans une discussion au sujet des terres autochtones, quelles sont mes autres limites dont je ne suis pas consciente? Et si je ne veux soulever qu’une partie du voile en toute chose? Sur tout ceci? Quelles en seront les conséquences? Qu’est-ce que ça voudra dire? J’en suis toujours là dans ma réflexion. Pour moi, le fait d’en discuter avec l’équipe et de l’inclure aujourd’hui la rend cependant plus tangible, comme un point qui mérite une attention.
Je pense – j’espère – que je saisis maintenant mieux la question du racisme. Au moins, je comprends qu’il transpire dans tout et que je peux le reconnaître dans mes gestes. Le fait que j’ai le choix d’y penser ou non, de prendre part ou non à la conversation, constitue un privilège. Il s’agit d’un luxe que les personnes racialisées n’ont pas. Pour ne pas le tenir comme acquis, je dois m’engager à continuer d’apprendre, à me remettre en question, à accepter de faire des erreurs ou de blesser des gens, à accepter la critique et à essayer de mieux faire.
Je ne parle pas de racisme avec des gens autres que ceux du bureau aussi souvent que je devrais le faire. Même en écrivant ces lignes, j’ai peur qu’une personne aille les lire et se dire que mon raisonnement est statique. Il y a six mois, cette idée aurait suffi à m’empêcher de rédiger mon blogue. Qu’on puisse me juger uniquement sur le texte d’aujourd’hui quand il s’agit d’un processus ininterrompu me terrifie, parce que le processus suit son cours. Il n’y a pas de ligne d’arrivée où je pense pouvoir me dire : « Ça y est. J’ai terminé. Regardez-moi maintenant. » Non. J’ai encore beaucoup à apprendre et à comprendre. Et j’aurai certainement encore d’autres aspects à changer chez moi.