Les cadeaux d’une démarche antiraciste
Ce blogue fait partie d’une série publiée en 2017. Une membre du personnel du CCNDS y présente le fruit de sa réflexion personnelle, en décrivant ce qu’elle a appris au sujet du racisme et de l’antiracisme en agissant par solidarité avec les peuples autochtones. Elle explique également en quoi cet apprentissage éclaire le travail du personnel du CCNDS dans ce domaine et en est influencé.
Si vous venez pour m’aider, vous perdez votre temps. Mais, si vous êtes ici parce que votre libération est liée à la mienne, alors unissons nos efforts. [traduction libre] – Lilla Watson, Aînée autochtone, activiste, éducatrice (Australie)
Cette citation m’inspire depuis de nombreuses années. C’est le slogan adopté par un réseau de solidarité dont je fais partie. Le réseau a pour objet de briser le silence et de protéger les droits civils des peuples autochtones du Guatémala (Breaking the Silence). Nous avons imprimé la citation sur des affiches et des t-shirts. Nous nous sommes interrogés sur son origine et avons effectué une recherche sur la signification de ses mots. Je m’en sers constamment pour me guider.
Mon blogue fait partie d’une série de blogues rédigés par des membres du personnel. Nous y abordons des aspects de notre croissance personnelle alors que nous nous employons collectivement à faire de notre organisme un lieu antiraciste. J’ai commencé par la citation ci-dessus, parce que je réfléchis à ce que j’ai appris sur le racisme et le fait d’être antiraciste par principe de solidarité envers les peuples autochtones. Je me demande aussi quels aspects de cet apprentissage orientent et ont orienté nos activités comme membres du personnel du CCNDS dans ce domaine.
Pour ce qui est du positionnement, j’ai grandi dans une petite collectivité homogène—blanche, classe moyenne, éduquée—le village de Ralston dans le sud de l’Alberta. Ce territoire appartenant traditionnellement à la Nation Pieds-Noirs se situe à la frontière des terres du Traité 7 et du Traité 4. Je n’en avais aucune idée à l’époque. Je savais que le nom du centre « urbain » le plus proche, Medicine Hat, provenait d’un événement marquant de l’histoire de la Nation Pieds-Noirs. Toutefois, en approfondissant mes recherches pour écrire mon blogue, je me suis rendu compte que ce que j’avais appris durant mon enfance s’avérait au mieux simpliste. Je n’avais aucun lien avec les peuples autochtones vivant près de chez moi autrement qu’en ayant peur d’eux. Les choses ont beaucoup changé depuis mon départ de Medicine Hat. La ville proclame aujourd’hui la légende Pieds-Noirs à l’origine de son nom. Medicine Hat est reconnue à l’échelle mondiale depuis novembre 2015, moment où la ville a déclaré avoir mis fin à l’itinérance.
C’est peut-être en partie parce que j’ai grandi dans l’ignorance des peuples autochtones du sud de l’Alberta que je me suis intéréssée au travail de solidarité avec eux – pour m’allier à eux. Petit à petit, j’ai appris à devenir une alliée. J’ai lu des livres sur l’histoire des Autochtones du Canada et du Guatémala. J’ai saisi toutes les occasions d’entendre parler et de rencontrer des Autochtones. J’essaie de foncer malgré mes résistances profondément ancrées et je tends la main simplement pour manifester mon amitié. Il est libérateur pour moi de connaître la vérité au sujet des ententes convenues entre colons et Autochtones pour partager, vendre ou confisquer le territoire que nous appelons le Canada.
Il a été libérateur pour moi aussi de profiter de la sagesse des dirigeants autochtones et de leurs alliés qui fait remettre en question l’idée qu’il y existe une seule bonne façon de trouver la vérité peu importe l’enjeu. En 2012, dans le cadre de mes fonctions au CCNDS, j’ai appris ce qu’était le concept de double regard de Cheryl Bartlett, ancienne directrice de l’ancien Institute for Integrative Science and Health. Des textes comme Comprendre le racisme, un document publié par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, et Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir, un document publié par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, m’ont poussée à trouver des façons d’agir.
En ce moment, je travaille avec des membres du Toronto Indigenous Health Advisory Circle à expliquer comment ils en sont venus à publier le document choc A Reclamation of Wellbeing: Visioning a thriving and healthy urban Indigenous community et à faire en sorte que les recommandations soient prises en compte dans la planification des politiques et des programmes.
Mon cheminement m’a amenée à prendre conscience que je bénéficie de privilèges de Blanche seulement parce que d’autres n’en ont pas. Détenir un poste intéressant et bien rémunéré veut dire que des gens de couleur ont été écartés—sciemment ou inconsciemment—du système d’éducation à prédominance blanche et des possibilités de réseautage dont j’ai pu profiter. Mon invisibilité raciale par rapport à mon emploi est en partie liée aux actes racistes dont certains de mes collègues font l’objet. Dans notre société, si nous ne faisions pas passer la peau blanche avant la peau de couleur, nous n’aurions aucun avantage à avoir la peau blanche. Je possède une parcelle de terre en Nouvelle-Écosse parce qu’on l’a volée aux Micmacs et que les Traités de paix et d’amitié n’ont pas été respectés. Je suis avantagée financièrement et socialement dans ma vie parce que des peuples autochtones et d’autres peuples de couleur sont tenus dans l’oppression.
Plus récemment, j’ai examiné comment je pourrais agir par solidarité dans ma propre province. J’ai assisté à une lecture de la poète lauréate Rebecca Thomas, dont la poésie pourfend le racisme historique et endémique des Blancs envers les Autochtones en Nouvelle-Écosse. Elle souligne que « s’allier » est un verbe qui veut dire que nous devons agir sans nous attendre à recevoir des honneurs par la suite. J’ai commencé à assister aux rencontres de l’Alliance pour la paix et l’amitié de la Nouvelle-Écosse. Nous organisons des cercles de discussion. Nous ouvrons et clôturons les séances avec des rituels micmacs. Nous prenons conscience des moyens pris dans les politiques et du racisme encouragé par le gouvernement pour séparer les colons des peuples autochtones. J’y ai croisé des collègues de la santé publique.
Dans mon processus de lecture et d’action, j’ai remis en question la vision du progrès véhiculée en Occident, celle par laquelle la réussite se mesure en termes de richesse matérielle. J’accueille les enseignements autochtones et leur vision circulaire, et non linéaire, de la vie et de l’identité qui repose sur l’interdépendance de tous les êtres vivants (« toutes mes relations »), pas seulement le rang et l’argent. Le fait de prendre conscience de la perception du monde qu’ont les Autochtones m’a donné la confiance nécessaire pour parler de la manière intuitive dont je comprends que les êtres humains sont les premiers et principaux protecteurs de l’eau, de l’air et de la terre, et que l’information scientifique n’est qu’une des sources d’information parmi tant d’autres tout aussi importantes au sujet du monde. Ces prises de conscience conjugées aux occasions de participer à des cercles où prennent place des Autochtones et des descendants des colons m’ont procuré du soulagement.
Janet Smylie donne le conseil suivant au personnel de la santé publique qui travaille avec des collectivités autochtones :
L’autoréflexion est un outil d’apprentissage puissant et éprouvé, surtout lorsqu’il s’agit de concilier des différences humaines. Elle est malheureusement sous-utilisée dans la formation et la pratique en santé publique. Notre formation théorique et les racines scientifiques de notre discipline nous incitent plutôt à penser que « nous savons mieux » que les personnes et les communautés avec qui nous travaillons. Trop souvent, le problème est présenté comme s’il fallait trouver des moyens de transférer à d’autres nos connaissances et nos pratiques « supérieures » – ce qui laisse peu de place aux systèmes de connaissances et de pratiques déjà en place.
Nous avons échoué en ce qui a trait aux communautés autochtones. Nous avons échoué non seulement parce que les populations autochtones du Canada présentent des disparités importantes et transversales sur le plan des déterminants de la santé, de l’état de santé et de l’accès aux soins de santé (disparités qui s’aggravent au lieu de s’améliorer dans bien des cas), mais parce que nous continuons à utiliser des approches qui reproduisent celles des colons européens. Des approches qui sous-estiment et/ou qui rejettent les systèmes, les capacités et les atouts locaux des Autochtones. p. 262
Smylie, J. (2015). Comment aborder la réconciliation : conseils du terrain. À récupérer de http://journal.cpha.ca/index.php/cjph/article/view/5262/3167 (texte bilingue).