Réconciliation, santé publique et application des connaissances
Dans le présent billet de blogue, la spécialiste principale du transfert des connaissances Sume Ndumbe-Eyoh explore les mécanismes employés par l’équipe du CCNDS pour intégrer la réconciliation dans ses pratiques organisationnelles.
Le CCNDS est en cours d’exécution d’un plan d’équité raciale pluriannuel qui nous amène, nous membres de son personnel, à participer à des lectures et à des discussions en groupe [1,2,3].
La première étape des lectures visait essentiellement à mieux comprendre les notions de racisme et de changement organisationnel [4,5]. Ensuite, durant l’automne 2018 et l’hiver 2019, nous avons poursuivi nos apprentissages en groupe en nous intéressant aux moyens de transformer nos pratiques de travail en tant qu’organisme d’application des connaissances. Les sujets de la deuxième étape de lectures ont principalement tourné autour de la production des connaissances [6], de l’application des connaissances, de la réconciliation et de l’établissement de réseaux et de relations. Lors de chaque discussion, nous avons examiné les implications de nos lectures dans nos pratiques organisationnelles.
Réconciliation et santé publique
Après la parution des rapports de la Commission de vérité et réconciliation en 2015, nous avons invité Louis Sorin, alors président du Conseil consultatif du CCNDS, à animer une discussion sur les 10 principes de réconciliation dont il était question dans les Appels à l’action [7]. Pour approfondir nos connaissances sur la réconciliation et la santé publique, nous avons visionné un webinaire sur la réconciliation et la santé publique présenté par la Dre Marcia Anderson [8] au personnel des Centres de collaboration nationale en santé publique. L’enregistrement est en anglais, mais nous avions aussi accès au résumé, à la présentation PPT et à une série de ressources citées en français. Ensuite, nous avons lu la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones [9].
Figure de proue dans les domaines de la santé des Autochtones, de la réconciliation et de la lutte antiraciste, la Dre Anderson soutient que l’appel à l’action numéro 18 constitue un champ d’action de la plus haute importance pour la santé publique. Dans leur appel à l’action numéro 18, les membres de la Commission demandent :
« […] au gouvernement fédéral, aux gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi qu’aux gouvernements autochtones de reconnaître que la situation actuelle sur le plan de la santé des Autochtones au Canada est le résultat direct des politiques des précédents gouvernements canadiens, y compris en ce qui touche les pensionnats, et de reconnaître et de mettre en application les droits des Autochtones en matière de soins de santé tels qu’ils sont prévus par le droit international et le droit constitutionnel, de même que par les traités [7(p3)]. »
La Dre Anderson souligne que la démarche des acteurs de la santé publique pour améliorer la santé des Autochtones doit être fondée sur les notions des Autochtones sur la santé [10]. Ces conceptualisations reposent sur ce que les Autochtones ont vécu historiquement, c’est-à-dire les pensionnats, le déracinement des milieux physique et social et l’aliénation culturelle. En outre, le racisme que vivent les Autochtones aujourd’hui part d’une idéologie raciste qui a mené à la création et à l’instauration de politiques qui ont des effets dévastateurs pour la santé des peuples autochtones.
Plus loin dans sa présentation, la Dre Anderson porte son attention sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation applicable dans tous les domaines et dans tous les secteurs. Elle signale que les membres de la direction de tout organisme ont la responsabilité de réfléchir aux implications de la Déclaration dans leurs activités.
La Déclaration des Nations unies est un instrument international articulé autour des quatre thèmes interdépendants ci-dessous que la Dre Anderson analyse, exemples à l’appui, pour en montrer les applications :
- le droit à l’autodétermination,
- le droit à l’identité culturelle,
- le droit au consentement préalable donné librement et en toute connaissance de cause,
- le droit à la non-discrimination.
Elle termine sa présentation en soulignant que la réconciliation ne peut coexister avec un racisme systémique. Elle nous encourage à agir dorénavant comme suit :
- « Marcher avec humilité » et ne pas être sur la défensive en recevant des commentaires;
- « Demander et écouter les commentaires des relations existantes »
- « Lorsque vous commencez à vous sentir sur la défensive et mal à l’aise, il faut écouter plus attentivement. »
Application des connaissances au service de la réconciliation
Après la présentation, nous avons réfléchi, comme équipe du CCNDS, à ce que la réconciliation voulait dire dans le contexte de la santé publique et à ce qu’elle présentait comme possibilités de transformation pour la santé publique. Nous étions d’accord avec l’affirmation de la Dre Anderson au sujet de certaines des lacunes du système de santé. Nous nous sommes entendus pour dire que la santé publique doit renoncer au pouvoir et au contrôle sur les peuples autochtones. Nos actions doivent refléter les souhaits de collectivités autochtones diverses. Qui plus est, nous devons activement nous attaquer au privilège des Blancs, qui s’est révélé une cause de discorde dans les partenariats et les relations avec les organismes autochtones par le passé.
Pour appuyer nos discussions sur nos pratiques organisationnelles, nous avons réfléchi à l’expérience que nous avons vécue lors de notre partenariat avec le Toronto Indigenous Health Advisory Council (TIHAC) et MUSKRAT Media pour élaborer une étude de cas intitulée Le Toronto Indigenous Health Advisory Circle (TIHAC): Favoriser les stratégies axées sur l’autodétermination en matière de santé des Autochtones [11].
Le TIHAC se compose de huit leaders autochtones dont l’objectif est d’aider Santé publique Toronto (SPT) et le Réseau local d’intégration des services de santé (RLISS) du Centre-Toronto à intégrer des stratégies pour améliorer l’état de santé dans les communautés autochtones de Toronto. Les conseillers qui font partie du Cercle sont des représentants sans droit de vote de SPT et du RLISS du Centre-Toronto. Le Cercle compte aussi six conseillers permanents, une Aînée et un représentant de la jeunesse, tous sélectionnés pour représenter un segment du logo du TIHAC, l’étoile à huit branches [11].
Légende : Le logo du Toronto Indigenous Health Advisory Circle, y compris l’étoile à huit branches.
Comme il est mentionné dans l’étude de cas :
Dès les débuts du processus de planification du Cercle, les conseillers ont verbalisé leur intention de faire connaître leur démarche. Ils voulaient faire part de leurs découvertes relativement aux tensions auxquelles se butent les peuples autochtones qui veulent changer des systèmes de santé qui les traitent trop souvent avec indifférence. Après la publication de la stratégie, le CCNDS—l’un des six centres de connaissances en santé publique du Canada—est entré en contact avec le Cercle, car il estimait ce que l’expérience du Cercle pouvait aider les acteurs de la santé publique à répondre aux 94 Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Le CCNDS voulait faire connaître la démarche du Cercle, parce que celle-ci révélait un changement radical dans la manière d’aborder la santé des Autochtones et offrait aux acteurs des organismes de santé publique ordinaires un modèle où tirer des pratiques judicieuses pour améliorer les perspectives et les résultats de santé chez les Autochtones. […] En acceptant de co-publier l’étude de cas, les conseillers du Cercle ont demandé que le CCNDS corédige le texte avec des Autochtones, ce qui a mené à l’établissement d’un partenariat avec MUSKRAT Media. Les équipes du Cercle, du CCNDS et de MUSKRAT Media étaient enchantées de travailler en partenariat à la production de l’étude de cas [11(p6-7)]. |
Ce partenariat constitue un tournant pour le CCNDS, une expérience qui a permis à toute notre équipe d’apprendre plus que ce que nous y avons investi. En plaçant la participation du TIHAC et des Autochtones en général au cœur et à la direction du processus de rédaction et de décision sur le contenu de l’étude de cas, nous avons repensé les stratégies d’observation durant les étapes de la collecte de données, les styles de rédaction, les échéances du projet, les processus d’approbation, le choix des images, les relations et ainsi de suite.
Nous faisons état de notre expérience, non pas pour laisser entendre que nous avons tout compris ou que nous avons « visé juste », mais bien pour montrer qu’il est possible d’adopter des pratiques organisationnelles qui respectent l’autodétermination.
Comme le fait remarquer la Dre Anderson dans sa présentation, nous devons aborder la réconciliation avec humilité et ouverture d’esprit. Dans notre cas, nous avons négocié ces points pour chaque interaction et chaque décision à prendre. C’est pourquoi nous continuerons d’investir dans notre apprentissage, notre perfectionnement et notre changement organisationnel. Nous poursuivrons notre travail de collaboration avec les conseillers du TIHAC et de MUSKRAT Media et de soutien en encourageant la communication et la validation des stratégies et des pratiques judicieuses [12] adoptées par le TIHAC, et qui servent de modèle pour les organismes du système de santé.
Conclusion
La réconciliation exige un changement structurel et la création de nouvelles façons de travailler et de participer. Elle nous exhorte à jeter un œil critique à nos pratiques et à abandonner celles qui ne conviennent pas. Nous avons toujours comme principale préoccupation de mettre un terme au racisme épistémologique et de valoriser les connaissances des Autochtones et les partenariats avec eux. À la fin de notre discussion de groupe, nous avons réfléchi individuellement à la question « Quels aspects de ma méthode de travail sont incompatibles avec la réconciliation? » Nous vous proposons de réfléchir à la même question pendant que nous avançons tous vers une véritable réconciliation.
Ressources : Plans de réconciliation mis en place dans des organismes
- Plans d’action personnalisés pour la réconciliation
Reconciliation Canada [13]
- Plan d’action de réconciliation de la Ville d’Ottawa
Comité d’étude sur les questions autochtones et Ville d’Ottawa [14]
- Plan d’action en matière de réconciliation – Services de santé pour les Autochtones du RLISS du Nord-Est
Réseau local d’intégration des services de santé [15]
- Taking action for reconciliation: An organizational plan for Middlesex-London Health Unit (en anglais)
Bureau de santé de Middlesex-London [16]
- Favoriser la réconciliation dans les soins de santé au Canada : Des pratiques judicieuses pour les leaders en santé
SoinsSantéCan [17]
- Votre bien-être, notre priorité : Plan d’action sur le respect de la culture 2018-2020 (en anglais, avec résumé en français)
Territoires du Nord-Ouest [18]
- Reconciliation action plan 2013-2015 (en anglais)
VicHealth (Australie) [19]
Photo : Eyepix
Références bibliographiques
[1.] Clement, C. (2017). Devenir antiraciste : de petits pas le long du chemin [billet de blogue dans internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020], [3 écrans]. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/blog/entry/becoming-anti-racist-small-steps-along-the-way
[2.] Clement, C. (2017). Devenir antiraciste : une initiative du CCNDS [billet de blogue dans internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020], [3 écrans]. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/blog/entry/becoming-anti-racist-an-nccdh-initiative
[3.] Ndumbe-Eyoh, S. (2019). Réflexions sur le chemin vers l’équité raciale au CCNDS [billet de blogue dans internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020], [3 écrans]. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/blog/entry/insights-from-the-nccdhs-racial-equity-journey
[4.] Clement, C. (2018). Le personnel du CCNDS souscrit au principe d’antiracisme grâce à un dialogue éclairé : première de deux parties [billet de blogue dans internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020], [3 écrans]. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/blog/entry/nccdh-staff-becoming-anti-racist-through-informed-dialogue-1-of-2
[5.] Clement, C. (2018). Le personnel du CCNDS souscrit au principe d’antiracisme grâce à un dialogue éclairé : deuxième de deux parties [billet de blogue dans internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020], [3 écrans]. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/blog/entry/nccdh-staff-becoming-anti-racist-through-informed-dialogue-2-of-2
[6.] Ndumbe-Eyoh, S. (2019). Par rapport aux connaissances et au racisme : Comment savons-nous ce que nous savons? [billet de blogue dans internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020], [3 écrans]. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/blog/entry/on-knowledge-and-racism-how-do-we-know-what-we-know
[7.]http://trc.ca/assets/pdf/Calls_to_Action_French.pdf Commission de vérité et réconciliation du Canada. (2015). Appels à l’action [Internet]. Winnipeg (Man.) : CVR [cité le 12 février 2020]. 13 p. Récupéré de http://trc.ca/assets/pdf/Calls_to_Action_French.pdf
[8.] Anderson, M. (2017). Réconciliation et santé publique. Prince George (C.-B.) : Centre de collaboration nationale de la santé autochtone [cité le 3 février 2020]. 51 minutes. Récupéré de https://www.ccnsa.ca/fr/publicationsview.aspx?sortcode=1.8.21.0&id=245 (enregistrement en anglais, avec résumé et présentation PPT en français; voir aussi la série de ressources en français au bas de la page Web)
[9.] Nations unies. (2007). Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones [Internet]. New York : ONU [cité le 12 février 2020]. 30 p. Récupéré de https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf
[10.] Greenwood, M. et S. de Leeuw. (2012). Social determinants of health and the future well-being of Aboriginal children in Canada. Paediatrics & Child Health [Internet]. Vol. 17, no 7, p. 381-384. Figure 1, Web of being: social determinants and Aboriginal peoples’ well-being [cité le 12 février 2020], p. 382. Récupéré de https://www.researchgate.net/publication/254262096_Social_determinants_of_health_and_the_future_well-being_of_Aboriginal_children_in_Canada (en anglais)
[11.] Toronto Indigenous Health Advisory Circle, Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé et MUSKRAT Media. (2019). Le Toronto Indigenous Health Advisory Circle (TIHAC): Favoriser les stratégies axées sur l’autodétermination en matière de santé des Autochtones [Internet]. Antigonish (N.-É.) : Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Université St. Francis Xavier [cité le 3 février 2020]. 46 p. Récupéré de http://nccdh.ca/fr/resources/entry/tihac
[12.] Toronto Indigenous Health Advisory Circle, Santé publique Toronto, Réseau local d’intégration des services de santé du Centre-Toronto. (2016). A reclamation of wellbeing: visioning a thriving and healthy urban Indigenous community. Toronto’s first Indigenous health strategy 2016-2021 [Internet]. Toronto (Ont.) : TIHAC [cité le 12 février 2020]. 35 p. Récupéré de https://www.toronto.ca/wp-content/uploads/2018/02/9457-tph-tihac-health-strategy-2016-2021.pdf (en anglais)
[13.] Reconciliation Canada. (2016). Plans d’action personnalisés pour la réconciliation [Internet]. District territorial de Skwxwú7mesh (Squamish), Vancouver (C.-B.) : Reconciliation Canada [cité le 13 février 2020], [environ 2 écrans]. Récupéré de https://reconciliationcanada.ca/plans-daction-personnalises-pour-la-reconciliation/?lang=fr
[14.] Ville d’Ottawa. (c2001-2020). Plan d’action de réconciliation de la Ville d’Ottawa [Internet]. Ottawa (Ont.) : Ville d’Ottawa [cité le 13 février 2020], [environ 4 écrans]. Récupéré de https://ottawa.ca/fr/hotel-de-ville/inclusion-et-egalite/plan-daction-de-reconciliation-de-la-ville-dottawa
[15.] Réseau local d’intégration des services de santé du Nord-Est, Comité local des services de santé pour les Autochtones. (2016). Plan d’action en matière de réconciliation – Services de santé pour les Autochtones du RLISS du Nord-Est [Internet]. Ont. : RLISS du Nord-Est [cité le 13 février 2020]. 38 p. Récupéré de http://www.nelhin.on.ca/indigenous.aspx?sc_Lang=fr-CA
[16.] Bureau de santé de Middlesex-London. (2018). Taking action for reconciliation: an organizational plan for Bureau de santé de Middlesex-London [Internet]. London (Ont.) : BSML [cité le 13 février 2020]. 57 p. Récupéré de https://www.healthunit.com/indigenous-reconciliation (en anglais)
[17.] Richardson, L. et T. Murphy. (2018). Favoriser la réconciliation dans les soins de santé au Canada : Des pratiques judicieuses pour les leaders en santé [Internet]. Ottawa (Ont.) : SoinsSantéCan [cité le 13 février 2020]. 32 p. Récupéré de https://www.healthcarecan.ca/wp-content/themes/camyno/assets/document/Reports/2018/HCC/FR/TRCC_FR.pdf?target=blank
[18.] Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. (Février 2019). Votre bien-être, notre priorité : Plan d’action sur le respect de la culture 2018-2020 [Internet]. Gouvernement des T. N.-O. [cité le 13 février 2020]. 31 p. Récupéré de https://www.hss.gov.nt.ca/fr/services/respect-valeurs-culturelles (en anglais, avec résumé en français)
[19.] VicHealth. (2013). Reconciliation action plan 2013-2015 [Internet]. Victoria (Australie) : Victorian Health Promotion Foundation [cité le 13 février 2020]. 15 p. Récupéré de https://www.vichealth.vic.gov.au/search/reconciliation-action-plan (en anglais)